Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/267

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grand que l’avait fait mon imagination. C’était au pied de l’escalier que les incendiaires avaient construit leur bûcher. Il était composé du bois qu’avait accumulé la cuisinière pour les besoins du lendemain, et ils l’avaient allumé avec le charbon pris au foyer. La pile était assez considérable, le feu pétillait vivement, et les deux coquins y entassaient les chaises, lorsque je les aperçus. En moins d’un quart d’heure, certainement, toute cette portion du bâtiment aurait été en feu.

J’aurais pu, d’où j’étais, tuer tes incendiaires sans difficulté et sans risque, mais j’avais une profonde répugnance à répandre le sang. J’avais cependant la perspective d’une lutte sérieuse, et je voyais la nécessité d’avoir de l’aide.

— Voulez-vous courir à la chambre de mon oncle, Mary, et lui dire de se lever immédiatement, puis à la porte de devant appeler Mille-Langues. Cela ne prendra que deux minutes, et pendant ce temps je surveillerai ces bandits.

— Je n’ose pas vous laisser seul avec ces scélérats, monsieur Littlepage, dit Mary d’une voix douce.

Cependant j’insistai avec vivacité, et elle partit comme une flèche. Bientôt je l’entendis appeler l’interprète. La nuit était si calme, que malgré la prudence de Mary, et malgré toute l’attention qu’ils mettaient à leur besogne, les incendiaires l’entendirent aussi, ou du moins ils crurent entendre quelque chose qui leur fit prendre l’alarme. Ils se dirent quelques mots, contemplèrent pendant un instant leur œuvre, prirent leurs armes qu’ils avaient déposées dans un coin de la cuisine, et se préparèrent évidemment à partir.

La crise approchait. Il n’était plus temps de recevoir du secours avant qu’ils sortissent, et je devais ou me préparer à une lutte ou leur permettre de s’échapper. Ma première pensée fut de tirer sur le premier, et de me jeter sur l’autre avant qu’il eût le temps de préparer ses armes ; mais une réflexion prudente m’arrêta. Les incendiaires se retiraient, et je ne savais s’il y avait légalité à tuer un félon en retraite. Je jugeai que mes chances devant un jury seraient beaucoup moindres que celles d’un voleur ordinaire, et j’avais assez vu et entendu pour être persuadé qu’autour de moi il y avait des milliers d’hommes qui regarderaient comme une provocation morale le fait d’être propriétaire de fermes que d’autres désiraient posséder.