Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/317

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d’un guerrier des bois, d’un chef, d’un homme qui n’avait jamais reconnu de supérieur, l’autre se signalait nécessairement par beaucoup des défauts qu’entraîne l’état de servitude, conséquences amères d’une caste dégradée. Heureusement, tous deux étaient sobres, vertu assez rare parmi les hommes rouges qui fréquentent les blancs, quoique plus commune chez les noirs. Mais Susquesus était né parmi les Onondagoes, tribu remarquable par sa tempérance, et à aucune époque de sa longue existence, il n’avait voulu goûter de boisson fermentée ; Jaaf, de son côté, était essentiellement sobre, quoiqu’on sa qualité de nègre il eût un goût décidé pour le cidre piquant. Il est hors de doute que ces deux débris des temps passés et des générations presque oubliées, devaient leur force et leur santé à ces bonnes habitudes ajoutées à d’heureuses dispositions naturelles.

On avait toujours pensé que Jaaf était un peu plus âgé que l’Indien, quoique la différence entre eux ne pût pas être grande. Il est certain que l’homme rouge conservait le mieux ses forces corporelles, quoique depuis cinquante ans il les eût le moins exercées. Susquesus ne travaillait jamais, et ne voulait jamais travailler dans le sens ordinaire du mot. Il considérait le travail comme au-dessous de sa dignité de guerrier, et j’avais entendu dire que la nécessité seule aurait pu le décider à labourer ou à planter, même dans la force de l’âge. Tant que la forêt sans limites lui fournissait le daim, l’orignal, le castor, l’ours, et tous les autres animaux dont l’homme rouge fait sa nourriture, il se souciait peu des fruits de la terre, si ce n’est de ceux qui se produisaient d’eux-mêmes : la chasse avait été la dernière occupation régulière qu’il eût abandonnée. Il portait le fusil, et fouillait les bois avec une remarquable vigueur, lorsque déjà il avait vu cent hivers ; mais le gibier avait déserté devant les défrichements continuels, qui ne laissaient plus rien de la forêt primitive, si ce n’est les petites pièces de bois invariablement attachées à toute ferme américaine, et qui donnent au paysage un relief et une beauté qui souvent manquent dans les vues des contrées antiques de l’Europe.

Pour Jaaf, quoiqu’il eût un goût assez prononcé pour la forêt et la vie des bois, les choses, sous bien des rapports, étaient bien différentes. Accoutumé au travail dès son enfance, il ne pouvait s’en abstenir, même dans son extrême vieillesse. Toujours il avait en main soit la bêche, la pioche ou la houe, quoique les résultats