Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/321

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à un être humain. Mais la tête et le chapeau résumaient dans la pensée de Jaaf la véritable gloire de sa toilette et de sa personne. Le chapeau a cornes était orné de broderies, ayant formé une partie de l’uniforme de mon grand-père le général Cornelius Littlepage, tandis que les cheveux laineux qui s’échappaient dessous, étaient blancs comme la neige des montagnes. Ce genre d’habillement a depuis longtemps disparu chez les nègres de même que parmi les blancs ; mais on en voyait encore des vestiges, me disait mon oncle, dans son jeune temps, surtout au jour particulier consacré à la fête des nègres. Malgré les excentricités de son costume, le vieux Yop faisait bonne figure en cette occasion, quoique son grand âge et celui de l’Onondago, fût la circonstance qui s’accordait le moins avec leur magnificence extérieure.

Comme les hommes de la prairie n’avaient pas encore paru, nous allâmes au-devant des deux vieillards qui s’avançaient vers nous. Chacun de nous, y compris les demoiselles, donna une poignée de main à Susquesus en lui souhaitant le bonjour. Il connaissait ma grand’mère, et montra une certaine émotion en lui serrant la main. Il connaissait Patt et lui fit un signe de tête bienveillant en réponse à sa politesse. Il connaissait Mary Warren aussi, et retint sa main pendant un certain temps, en la considérant tout le temps d’un air attentif. Mon oncle Ro et moi nous fûmes aussi reconnus, et son regard s’attacha sur moi fixe et sérieux. Les deux autres demoiselles furent accueillies avec courtoisie, mais elles semblèrent ne lui inspirer que peu d’intérêt. Une chaise fut apportée sur la pelouse pour Susquesus, et il s’y assit. Quant à Jaaf, il s’avança lentement vers nous, ôta son chapeau, mais refusa respectueusement le siège qu’on lui offrait. Se trouvant ainsi salué le dernier, il fut le premier auquel ma grand’mère adressa la parole.

— C’est un spectacle agréable, Jaaf, de vous voir encore une fois avec votre vieil ami Susquesus, sur la pelouse de la vieille maison.

— Pas tant vieille maison, miss Dus, après tout, murmura le nègre. Je m’en souviens assez bien, bâtie seulement l’autre jour.

— Voilà soixante ans qu’elle est bâtie ; si vous appelez cela l’autre jour… J’étais alors jeune moi-même, heureuse au delà de mes mérites. Hélas ! combien les choses sont changées depuis ce moment !