Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 27, 1847.djvu/323

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Pendant que ma grand’mère interrogeait, pour la première fois de sa vie, l’Onondago sur ce sujet, l’œil du guerrier ne se détachait pas du sien. Il parut d’abord surpris, puis son regard se chargea de tristesse, et courbant la tête, il demeura quelque temps silencieux, comme s’il méditait sur le passé. Le sujet avait évidemment réveillé les plus fortes sensations du vieillard, retraçant des images de choses des longtemps passées et dont le souvenir était accompagné de douleur. Il resta dans cette position pendant environ une minute.

— Porte-chaîne ne l’a jamais dit ? demanda-t-il enfin en relevant la tête. Le vieux chef aussi savait ; jamais dit, eh ?

— Jamais. J’ai entendu mon oncle et mon beau-père dire qu’ils connaissaient la raison qui vous a fait quitter votre peuple, il y a de si longues années, et que cette raison vous faisait honneur ; mais ils n’en ont pas dit davantage. On assure ici que ces hommes rouges qui sont venus de si loin pour vous voir, le savent aussi, et que c’est une des causes qui les ont fait détourner de leur chemin pour vous rendre une visite.

Susquesus écoutait attentivement, quoique aucune partie de sa physionomie ne trahît d’émotion, excepté ses yeux. Tout le reste de sa personne semblait fait de quelque substance entièrement privée de sensibilité ; mais ses yeux vifs, mobiles, pénétrants, prouvaient que l’esprit intérieur était beaucoup plus jeune que l’enveloppe qui le renfermait. Cependant, il ne fit aucune révélation, et notre curiosité qui devenait de plus en plus vive, fut complétement déjouée. Il se passa même quelque temps avant que l’Indien prononçât une autre parole. Quand il jugea à propos de parler, ce fut simplement pour dire :

— Bon. Porte-chaîne chef sage ; général sage aussi. Bon dans le camp, bon devant le feu du conseil. Savoir quand il faut parler ; savoir quoi il faut dire.

Je ne sais si ma grand’mère se disposait à poursuivre le sujet ; car à ce moment même, nous vîmes les peaux-rouges sortir de leurs quartiers, s’avançant de la vieille ferme vers la pelouse, pour rendre leurs derniers hommages à Sans-Traces avant de reprendre leur long voyage vers les prairies. Ma grand’mère fit donc quelques pas en arrière, et mon oncle conduisit Susquesus vers l’arbre où avaient été disposés les bancs pour les chefs, pendant que par derrière je portais sa chaise. Chacun suivit, même les domestiques