Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 28, 1850.djvu/208

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— Si Gar’ner, reprit le diacre, revenait ici après avoir réussi dans la chasse des veaux marins et dans l’autre affaire, celle des Indes occidentales, enfin après avoir réussi en tout, je désirerais savoir si, alors, vous voudriez de lui, en supposant qu’il n’ait point changé lui-même.

— S’il n’a point changé, je ne serai jamais sa femme, répondit Marie avec fermeté, quoique son cœur fût vivement ému.

Le diacre la regarda avec surprise car il n’avait jamais admis qu’une seule raison qui pût décider Marie orpheline et sans fortune à refuser avec tant d’opiniâtreté de devenir la femme de Roswell Gardiner, et c’était le manque de fortune de ce dernier.

Or, le diacre aimait Marie plus qu’il ne se l’avouait à lui-même, mais il ne s’était pas encore déterminé à la choisir comme héritière de ses biens. L’idée de s’en séparer lui était trop pénible pour qu’il voulût songer à un testament. S’il ne faisait point cet acte, Marie n’aurait que sa part de la fortune de son oncle. Le diacre le savait, et il éprouvait à cet égard une véritable anxiété : depuis quelque temps, en effet, il avait pu remarquer lui-même des symptômes inquiétants dans tout son organisme, une fois il était allé jusqu’à écrire sur une feuille de papier : Au nom de Dieu, Amen ; — mais c’était un trop grand effort pour lui, et il en était resté là. Cependant, le diacre Pratt aimait sa nièce, et il eût désiré qu’elle épousât le jeune Gar’ner à son retour, surtout s’il avait réussi.

— S’il n’a point changé ! répéta l’oncle doucement ; assurément vous ne voudriez pas l’épouser, Marie, s’il avait changé !

— Je ne veux pas dire changé, mon oncle, dans le sens que vous entendez. Mais ne parlons point de cela maintenant. Pourquoi Roswell s’arrête-t-il aux Indes occidentales ? Nos vaisseaux n’ont pas l’habitude de s’arrêter là.

— C’est vrai. Si Gar’ner s’y arrête, ce ne sera que pour une affaire toute spéciale qui fera notre fortune à tous, la vôtre aussi bien que la sienne, et la mienne, Marie.

— J’espère que les chasseurs de veaux marins, s’écria la jeune fille, ne s’occupent jamais du transport des esclaves ; j’aimerais mieux vivre et mourir pauvre que de rien devoir à la traite.