Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 29, 1852.djvu/116

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fermer les yeux s’il n’avait pu les détourner sur les petits compartiments de verdure qui de distance en distance, reposaient la vue sur le Sommet, en même temps qu’ils faisaient les délices de la pauvre Kitty qui avait grand soin de ne jamais laisser l’herbe longue, ce que Marc voyait sans peine, car il savait qu’elle n’en serait que plus belle et plus épaisse. Le succès de cette épreuve, le désir si naturel de ménager sa vue, ce besoin fébrile d’action qui le dévorait plus que jamais depuis qu’il était seul, lui firent concevoir la pensée d’ensemencer toute la partie de la plaine qu’il ne comptait pas mettre en potager. L’Ami Abraham White avait embarqué deux barils de graine de gazon ; Marc se mit à l’ouvrage. De fortes averses vinrent à tomber ; il n’en travailla qu’avec plus d’ardeur. La terre humectée n’en était que plus propre à recevoir la semence ; un des barils, y passa presque tout entier, mais le soir le pauvre Marc était tout ruisselant de pluie et de sueur.

Il se coucha dans son hamac, sous la petite tente du Cratère ; mais quand il se réveilla le matin, il sentit que sa tête était lourde comme du plomb, et son palais desséché : une fièvre ardente le dévorait. Ce fut alors que le pauvre ermite comprit son imprudence, et qu’il sentit toute l’amertume de sa situation. Il ne pouvait se le dissimuler : il allait être sérieusement malade, et il fallait mettre à profit le peu d’instants qui lui restaient. C’était seulement à bord qu’il pouvait trouver les choses qui lui seraient nécessaires ; il fallait donc à tout prix tâcher de s’y rendre, s’il voulait avoir quelque chance de salut. Ouvrant un parapluie et soutenant ses pas chancelants à l’aide, d’un bâton, Marc entreprit une marche de près d’un mille, sous un soleil presque perpendiculaire, dans la saison la plus chaude de l’année. Vingt fois le jeune malade crut qu’il allait tomber sur le roc nu, d’où il ne se serait certainement pas relevé sous la double influence du soleil des tropiques et de la fièvre dévorante. Le désespoir lui donna des forces ; et, après des pauses fréquentes pour reprendre haleine, il parvint à entrer dans la cabine, à la fin de l’heure la plus pénible qu’il eut passée de sa vie.