Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 29, 1852.djvu/168

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L’entrée de l’anse était à deux pas ; les deux embarcations s’y dirigèrent de conserve, et furent bientôt amarrées.

Les deux amis, accompagnés de l’homme de couleur, commencèrent leur ascension, Marc ramassant en chemin la lunette, le fusil, et les autres objets que dans sa précipitation il avait laissé tomber en descendant. Pendant la montée, peu de paroles furent échangées ; mais arrivés à la plaine, Bob et son compagnon ne purent retenir de bruyantes acclamations de joie. À la grande surprise de Marc, la peau cuivrée s’exprimait dans la même langue que Bob. Il se retourna pour l’examiner de plus près, et il reconnut une figure qu’il connaissait.

— Que vois-je, Bob ! s’écria Marc respirant à peine ; comment est-ce que ce serait Socrate ?

— Eh oui, Monsieur, c’est Soc en personne ; et Didon, sa femme, n’est pas à cent milles de vous.

Cette réponse, toute simple qu’elle fût, jeta de nouveau notre jeune homme dans le plus grand trouble. Socrate et Didon étaient les esclaves de Brigitte au moment où il était parti d’Amérique ; ils faisaient partie de la propriété dont elle avait hérité de sa grand’mère. Ils demeuraient dans la maison même, et ne l’appelaient jamais que maîtresse. Marc les connaissait à merveille, et Didon, avec la malice et la familiarité d’une servante favorite, avait l’habitude de l’appeler « son jeune maître. » Une foule de réflexions, de conjectures, de craintes se présentèrent à la fois à l’esprit de notre héros, mais il s’abstint de toute question précipitée. À vrai dire, il avait peur d’en faire aucune.

Sachant à peine ce qu’il faisait, il se dirigea à pas précipités vers le bouquet d’arbres à l’ombre duquel il avait dîné deux ou trois heures auparavant. Il restait quelques becfigues auxquels il n’avait pas touché. En remuant les cendres, le feu fut bientôt attisé ; et, en quelques minutes, Bob se vit servir un rôti succulent, arrosé d’un rhum qu’il connaissait de vieille date.

Bob mangea sans se presser. Il semblait savourer les morceaux ; et ce n’était pas par épicurisme qu’il prolongeait ainsi son repas à plaisir : il avait un mobile beaucoup plus généreux.