Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/12

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— Sur ma foi ! s’écria-t-il, il y en a deux ! un grand et un petit ! Si ce sont des esprits de la mer, à coup sûr ils aiment la compagnie comme les autres chrétiens.

— Deux ! répéta l’Écossais ; deux ! C’est signe de malheur pour quelques-uns de nous. Deux bâtiments en même temps dans un endroit si dangereux sans qu’on voie personne à la manœuvre, je vous dis que cela doit porter malheur à ceux qui les regardent. Et, sur ma foi, ce n’est pas un mouton d’un an que celui qui arrive. Voyez ! voyez ! c’est un superbe et grand vaisseau !

Après avoir jeté un coup d’œil à la hâte sur les deux objets qui lui inspiraient des soupçons, il regarda d’un air expressif ceux qui l’écoutaient, et leur dit, tout en se mettant en marche pour rentrer dans l’intérieur des terres : — Je ne serais pas surpris qu’il y eût à bord de ce grand bâtiment une commission du roi George. Eh bien ! en bien ! je retournerai à la ville, car ces deux navires me sont suspects. Le petit escamoterait un homme le plus aisément du monde, et le grand nous contiendrait tous, et deux fois autant que nous sommes.

Cet avis prudent occasionna un mouvement général ; car parmi les nouvelles qui couraient était celle qu’il y aurait incessamment une presse. Les laboureurs ramassèrent promptement leurs outils, et se disposèrent à regagner leurs demeures. Mais, quoique plus d’un œil curieux suivît les mouvements des deux navires des hauteurs situées à quelque distance, bien peu de gens se hasardèrent à gravir les petits rochers qui hérissaient les bords de la baie, sans concevoir quelque crainte de cette visite inexplicable.

Le vaisseau qui avait occasionné la fuite de nos villageois était un grand navire que la hauteur des mâts et la carrure des vergues faisaient paraître dans le crépuscule comme une montagne sortant du sein des mers dans le lointain. Il ne portait que peu de voiles ; mais, quoiqu’il évitât avec soin d’approcher de la terre autant que le schooner l’avait fait, les manœuvres simultanées des deux bâtiments annonçaient suffisamment qu’ils faisaient voile de conserve. La frégate, car le plus grand de ces navires en était une, s’avança majestueusement jusqu’à l’entrée de la petite baie, et lorsqu’elle fut arrivée en face du schooner, elle disposa ses voiles de manière à neutraliser l’effet des unes par celui des autres, afin de rester en panne. Mais le peu de vent qui avait jusqu’alors enflé ses voiles commençait à lui manquer, et la brise de terre ayant tombé en