Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/141

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soit fortement contrarié ; je suis la fille d’un frère qu’il chérissait. Ces liens ne se rompent pas aisément. Comme je ne désire pas vous voir perdre la raison, je ne vous dirai pas que votre folle vanité vous a trompé ; mais bien certainement, Édouard, on peut se sentir lié par les nœuds d’une double affection, quoique d’une nature différente, et se conduire de manière à ne briser ni l’un ni l’autre. Jamais je ne consentirai à abandonner mon oncle, à le laisser isolé dans un pays dont il reconnaît si aveuglement la suprématie. Vous ne connaissez pas cette Angleterre, Griffith. Elle reçoit ses enfants des colonies avec un froid dédain, avec une fierté hautaine, comme une belle-mère jalouse qui craint d’accorder une faveur aux enfants du premier lit de son mari.

— Je la connais en paix, et je la connais en guerre, répondit le jeune officier en relevant la tête. Je sais qu’elle est amie orgueilleuse et ennemie implacable. Aujourd’hui il faut lutter contre des gens qui ne lui demandent d’autre faveur que le combat à outrance. Mais votre détermination va me forcer à porter de mauvaises nouvelles à Barnstable.

— Oh ! dit Cécile en souriant, je ne parle pas pour celles qui n’ont pas d’oncle, et qui sont tourmentées par une surabondance de bile et d’humeur contre ce pays, ses habitants, ses lois, ses usages, quoiqu’elles n’en connaissent rien.

— Miss Howard est-elle donc lasse de me voir sous le toit de Sainte-Ruth ? demanda Catherine ; mais écoutez ! n’entends-je pas marcher dans le corridor ?

On entendit effectivement le bruit des pas de plusieurs personnes qui avançaient, en causant ensemble ; et avant qu’elles eussent eu le temps de réfléchir sur ce qu’elles devaient faire, les voix devinrent distinctes, et ceux qui parlaient s’arrêtèrent à la porte de la chambre de Griffith.

— Oui, Peters, oui, disait l’un, il a vraiment la tournure militaire ! et il fera un excellent soldat. Ouvrez-moi la porte de cette chambre.

— Ce n’est pas là qu’il est logé, mon capitaine, répondit la sentinelle alarmée ; il est dans la dernière chambre, au bout du corridor.

— Comment savez-vous cela, drôle ? Prenez la clef ; et ouvrez-moi la porte. Peu m’importe qui y est logé. Qui sait si je ne les enrôlerai pas tous trois ?