Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/185

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de la main à son commandant, qui ordonna aussitôt qu’on cessât de ramer. La barque resta stationnaire quelques instants, pendant lesquels la baleine continuait à battre la mer de sa queue, avec un bruit qui, répété par les rochers, ressemblait à celui qu’auraient produit des coups de canon. Après avoir donné ces preuves de sa force, le monstre s’enfonça sous l’eau et disparut.

— De quel côté est-elle partie, Tom ? demanda Barnstable.

— Je crois qu’elle n’a fait que s’enfoncer, Monsieur, répondit le contre-maître sans lever les yeux de l’endroit où l’on venait de voir la baleine. Elle va se frotter le museau à fond de cale, mais elle ne tardera pas à remonter sur le pont pour humer l’air. Avançons de quelques brasses à tribord, Monsieur, et je vous réponds que nous n’en serons pas bien loin.

L’expérience du vieux marin ne fut pas trompée dans cette conjecture. Au bout de quelques minutes les ondes se fendirent à quelques toises de la barque, de nouvelles trombes d’eau jaillirent en l’air, et la masse énorme de la baleine reparut sur l’eau en occasionnant un refoulement de vagues semblable à celui que produit un vaisseau qu’on lance à la mer. Après cette évolution, elle resta tranquillement sur la surface de son élément sans faire aucun effort pour s’éloigner.

Barnstable et le contre-maître suivaient des yeux ses moindres mouvements, et dès qu’ils virent le cétacé dans une sorte de repos, le lieutenant donna ordre à l’équipage de reprendre les rames, qui amenèrent bientôt la chaloupe à côté de la baleine ; la proue toucha presque une des énormes nageoires qui se montrait de temps en temps à la vue, tandis que l’animal se laissait indolemment entraîner par le roulis des vagues. Tom Coffin brandit un instant son harpon en l’air, et le lança ensuite avec une telle force, que le fer se cacha tout entier dans le corps de la baleine.

Dès qu’il eut lancé son harpon, Tom Coffin s’écria avec un empressement singulier :

— En arrière, tous !

— En arrière, tous ! répéta Barnstable. Et tous les marins, agitant leurs rames et réunissant leurs efforts, firent reculer la barque pour la mettre à l’abri des redoutables coups de queue de leur antagoniste. La baleine alarmée ne méditait pourtant aucun acte d’agression. Elle ne connaissait ni sa force, ni la faiblesse de