Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/213

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chenil d’abbaye, quand ce n’eût été que pour en briser les vitres, et faire respirer l’air de la nuit à ce sot ivrogne qui est à cuver le meilleur vin, le nectar le plus délicieux que… Écoutez-moi, monsieur Griffith, un mot à l’oreille !

Les deux officiers eurent ensemble une courte conférence qui se termina par les mots suivants adressés par Manuel à Griffith :

— Je vous réponds que j’emporterais le vieux donjon sans éveiller un seul de ceux qui y ronflent, et songez que nous trouverions dans les caves une ample provision du cordial le plus salutaire qui ait jamais adouci le gosier d’un gentilhomme.

— Folie ! folie ! dit Griffith avec impatience ; nous ne sommes ni des pillards ni des commis de la douane, pour aller faire ainsi des descentes dans les caves anglaises ; nous sommes des hommes d’honneur, capitaine Manuel, et nous portons les armes pour la cause sacrée de la liberté et de notre pays. Faites entrer vos soldats dans les ruines, et qu’ils s’y reposent. Il est possible qu’ils ne tardent pas à avoir assez d’occupation.

— Maudite soit l’heure où j’ai quitté la ligne pour me mettre sous la discipline de ces jaquettes goudronnées ! pensa Manuel en exécutant l’ordre qui venait de lui être donné avec un ton d’autorité auquel il savait qu’il fallait obéir. Manquer la plus belle occasion de surprise qui se soit jamais offerte à un partisan, à un fourrageur ! Mais, de par tous les droits de l’homme, le campement se fera du moins avec ordre. Holà ! sergent, prenez un caporal et trois hommes pour former un piquet, et mettez une sentinelle en avant de notre position. Il ne faut pas que nous ayons l’air de renoncer à toute espèce de tactique.

Griffith l’entendit donner cet ordre avec dépit, car il craignait que cette garde avancée ne servît à faire découvrir leur retraite. Cependant, comme le jour ne paraissait pas encore, il ne voulut pas contrarier le capitaine en usant de son autorité, et Manuel eut la satisfaction de voir sa petite troupe cantonnée militairement ; après quoi il entra avec Griffith et le reste de ses soldats dans une chambre basse et voûtée à demi couverte par les décombres, et dont la porte n’existait plus. Les soldats s’étendirent pour dormir, et les deux officiers, se chargeant de veiller, passèrent le temps tantôt à converser, tantôt à se livrer séparément chacun à leurs pensées, qui étaient quelquefois aussi opposées entre elles