Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/263

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— Menteur ! s’écria le contre-maître ; prononcez encore une parole, ce sera la dernière de votre vie.

Dillon n’ouvrit plus la bouche.

Ils arrivèrent jusqu’à l’extrémité des rochers sans rencontrer le détachement envoyé à la poursuite de Barnstable, quoiqu’ils fussent à un endroit peu éloigné de celui où ils avaient débarqué. Le vieux marin s’arrêta un instant pour examiner la vaste étendue de mer qui s’ouvrait devant lui. Elle ne dormait plus dans le calme ; elle roulait déjà de fortes vagues couronnées d’écume, qui venaient se briser sur la base des rochers. Le contre-maître tourna ensuite ses regards vers le ciel, du côté de l’orient, et fit entendre une sorte de gémissement profond. Frappant alors violemment la terre avec le manche de son harpon, il se remit en marche en proférant à demi-voix des jurements et des imprécations qui firent frémir Dillon, parce qu’il croyait en être l’objet. Il lui semblait que son guide imprudent prenait plaisir à marcher si près du bord des rochers, que le moindre faux pas aurait pu les en précipiter ; l’obscurité de la nuit et le vent augmentaient encore ce danger que Dillon ne pouvait éviter de partager, puisqu’il ne pouvait s’éloigner de son guide que de la longueur de la corde qui le retenait captif ; mais Coffin avait de bonnes raisons pour suivre un chemin si périlleux : il cherchait à reconnaître la petite anse dans laquelle Barnstable lui avait donné rendez-vous.

Ils en étaient environ à mi-chemin quand, dans un moment où les vents se taisaient, le contre-maître crut entendre des voix d’hommes. Il s’arrêta sur-le-champ, écouta un instant avec grande attention, et ayant reconnu qu’il ne s’était pas trompé, son parti fut pris sur-le-champ. Se tournant vers Dillon, il lui dit à voix basse, mais d’un ton ferme et résolu :

— Un seul mot, et vous êtes mort… Descendez le rocher. Il faut vous servir de l’échelle du marin. Mettez-vous ventre à terre, aidez-vous des pieds et des mains. Dépêchez-vous, ou je vous jette dans la mer, pour servir de pâture aux requins.

— Grâce ! grâce ! s’écria Dillon d’une voix retenue par la frayeur ; je n’en viendrais pas à bout en plein jour ; je périrai si je l’essaie dans une pareille obscurité.

— Descendez, ou je…

Dillon n’attendit pas davantage, et, cédant à la nécessité, il descendit à reculons et en tremblant la rampe escarpée du rocher.