Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/286

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trois pas, il s’arrêta tout à coup, et il lui fallut quelques instants pour recueillir ses sens et s’écrier avec horreur :

— Voyez ce misérable, Merry ! son visage n’est pas mutilé, et cependant ses yeux ont encore cet éclat sauvage que donne le plus affreux désespoir. Ses mains sont ouvertes et étendues comme s’il voulait encore lutter contre les flots.

— C’est le Jonas ! c’est le Jonas ! s’écrièrent les marins avec une exclamation farouche ; rejetons ce cadavre à la mer ! qu’il serve de pâture aux requins !

Barnstable s’était détourné avec dégoût, mais quand il entendit ces projets d’une vengeance aussi lâche qu’impuissante, il se retourna et dit d’une voix qui attirait encore le respect de l’obéissance :

— Silence ! voulez-vous déshonorer la nature humaine et votre profession en vous abandonnant à un indigne esprit de vengeance contre celui qui a déjà été soumis au jugement de Dieu ! Il ajouta à ce peu de mots un geste expressif pour qu’on donnât la sépulture à Dillon et se retira à pas lents.

— Enterrez-le dans le sable, camarades, dit Merry quand son commandant fut à quelque distance ; la marée prochaine se chargera de son exhumation.

Les marins exécutèrent cet ordre, et le midshipman alla rejoindre son lieutenant, qui continua à se promener le long du rivage, s’arrêtant de temps en temps pour jeter des regards inquiets vers la mer, et se remettant ensuite en marche d’un pas qui exigeait que son jeune compagnon fît les plus grands efforts pour se maintenir à son côté. Enfin, après avoir encore passé deux heures de cette manière à faire des recherches inutiles, il perdit tout espoir de jamais revoir son fidèle contre-maître.

— Voilà déjà le soleil qui descend derrière les rochers, dit Barnstable, et ce serait bientôt le temps de placer le quart du guidon. Mais sur quoi aurions-nous à veiller ? La mer et les rochers ne nous ont pas même laissé une planche entière pour nous reposer cette nuit.

— On a ramassé sur les sables plusieurs objets utiles, répondit Merry ; des barils de vivres pour nous nourrir, et une caisse d’armes pour nous défendre contre nos ennemis.

— Et quels seront nos ennemis ? demanda Barnstable avec amertume ; prendrons-nous l’Angleterre à l’abordage avec nos douze piques ?