Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/344

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l’alarme dans le pays, Griffith avait ordonné que tout ce qui s’était trouvé à Sainte-Ruth fût conduit sur les rochers pour y être détenu jusqu’au départ de la dernière des barques destinée à conduire les Américains et leurs prisonniers sur le cutter qui les attendait en courant des bordées à peu de distance du rivage.

On avait allumé des bougies dans presque tous les appartements de l’abbaye pour faire les préparatifs du départ, et dans la précipitation qu’on y avait mise, personne n’avait songé à les éteindre. L’édifice paraissait donc comme illuminé, et cet éclat rendait encore plus sensible, surtout aux yeux des femmes, l’obscurité qui régnait au dehors. Un de ces mouvements subits qu’on ne saurait ni expliquer ni définir porta Cécile à s’arrêter quand elle fut sur le seuil de la porte extérieure ; elle se retourna pour jeter un regard sur l’abbaye avec un pressentiment secret qu’elle la voyait pour la dernière fois. Les murs sombres de cet édifice se dessinaient sur l’horizon du nord, tandis que les portes et les fenêtres ouvertes permettaient d’en contempler la solitude intérieure. Vingt lumières répandaient leur éclat inutile dans des appartements inhabités, comme en dérision de leur état d’abandon. Cette vue fit tressaillir Cécile, et elle se détourna pour se rapprocher de son oncle toujours indigné, avec l’idée secrète que la présence de sa nièce serait bientôt plus nécessaire que jamais à son bonheur.

Le murmure sourd des voix de ceux qui marchaient en tête, le son du fifre qui se faisait entendre de temps en temps, les ordres que donnaient à voix basse les officiers de marine, lui firent oublier ces pensées en la rappelant à la réalité, et elle suivit la troupe qui se dirigeait à grands pas vers le rivage.