Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/346

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regards semblaient lui défendre de s’approcher davantage. Griffith marchait sur les flancs de la troupe, de manière à embrasser des yeux toute la ligue, et à pouvoir au besoin en diriger les mouvements par ses ordres. Un autre corps de marins venait ensuite, et Manuel fermait la marche à la tête d’un second détachement de ses soldats. Le fifre avait reçu ordre de se taire, et l’on n’entendait plus que le bruit des pas mesurés des soldats, les derniers soupirs de l’ouragan, la voix d’un officier qui avait de temps en temps quelque ordre à donner, et un murmure confus causé par les conversations à demi-voix des marins.

— C’est une prise écossaise que nous venons de faire, disait un vieux matelot ; ni cargaison, ni argent ! Ce n’est pas qu’il n’y eût dans cette vieille carcasse de navire de quoi procurer à chacun de nous une paire de belles boucles d’argent ; mais non ! l’eau a beau venir à la bouche d’un brave homme, du diable si les officiers voudraient lui permettre de prendre seulement une Bible !

— Vous pouvez bien le dire, et vous ne direz que la vérité, répondit un de ses camarades qui marchait à son côté, et s’il s’était trouvé un livre de prières, ils n’auraient pas voulu qu’un pauvre diable pût s’en servir. Et cependant je vous dirai ce que j’en pense, Ben ; il me semble que quand on fait d’un marin un soldat, et qu’on lui fait porter le mousquet, on doit lui laisser la même liberté qu’au soldat, et lui permettre un doigt de pillage. Quant à moi, du diable si j’ai mis la main cette nuit sur autre chose que sur mon fusil et mon coutelas, à moins que vous n’appeliez ce haillon de nappe un revenant-bon !

— Ah ! ah ! tu es tombé sur un bon coupon de toile à voile, à ce que je vois, reprit le premier, admirant la finesse du tissu que son compagnon lui montrait à la dérobée ; ma foi ! tu en as emporté large comme notre voile du perroquet d’artimon. Eh bien ! tout le monde n’a pas eu autant de bonheur que toi. Pour ma part, je crois que ce maudit chapeau a été fait pour le gros doigt du pied de je ne sais qui. J’ai voulu enfoncer sur ma tête en poupe et en proue, mais du diable s’il y entre d’un pouce. Ah çà ! Nick, tu me donneras un morceau de cette toile pour me faire une chemise ?

— Oui, oui, répondit Nick, on vous en donnera un coin ; vous en aurez même la moitié, si vous le voulez. Mais au bout du compte, à moins que nous ne trouvions nos parts de prise dans ce