Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/349

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de ramasser quelques gouttes d’encre pour écrire une lettre à ma pauvre vieille mère. Du diable si elle a reçu une ligne de moi depuis que nous sommes sortis de la baie de Chesapeake.

— Si vous ne n’obéissez à l’instant, s’écria Merry d’une voix qui annonçait plus de compassion qu’on n’en accordait généralement alors aux souffrances d’une race encore méprisée aujourd’hui par les gens irréfléchis et inconsidérés, mais qui autrefois l’était bien plus encore, je vous ferai sentir le fil de mon coutelas, et alors vous pourrez écrire à votre mère avec de l’encre rouge si bon vous semble.

— Je m’en garderai bien, répondit Sam en se replaçant au poste qui lui avait été assigné ; la pauvre femme ne reconnaîtrait pas mon écriture, et dirait que c’est un faux. Je voudrais pourtant bien savoir s’il est vrai que tous les brisants soient noirs sur la côte de Guinée, comme je l’ai entendu dire à de vieux marins qui ont croisé dans ces parages.

Le cours de ses plaisanteries fut interrompu par une voix sévère dont le ton d’autorité n’avait qu’un mot à prononcer pour calmer les plus bruyants transports de gaieté de l’équipage.

— C’est M. Griffith ! se dirent les marins à voix basse ; Sam a éveillé le premier lieutenant, il fera bien de dormir à son tour !

Ils cessèrent même leur chuchotement en voyant approcher leur commandant, et Sam marcha sans se déranger de la file, dans un aussi profond silence que s’il eût été muet.

Le lecteur nous a trop souvent accompagné sur le terrain situé entre l’abbaye de Sainte-Ruth et l’Océan pour que nous ayons besoin de lui faire la description de la route que suivait le détachement pendant le dialogue précédent, et nous passerons sur-le-champ aux incidents qui eurent lieu lorsqu’on fut arrivé sur les rochers.

L’homme qui d’une manière si inattendue s’était arrogé un instant l’autorité sur les autres ayant disparu sans que personne sût ce qu’il était devenu, Griffith continua à exercer les fonctions de commandant sans consulter personne. Il n’adressa pas la parole une seule fois à Barnstable, et il était évident que ces deux jeunes gens également fiers, regardaient comme rompus, du moins pour le moment, les liens de l’étroite amitié qui les avait unis jusqu’alors. Il est certain que Griffith, s’il n’eût été retenu par la présence de Cécile et de Catherine, aurait fait arrêter sur--