Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/364

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— Je n’en demande pas davantage, à moins que ce ne soit le secours de vos prières. Mais la nuit est bien obscure, Alix ; je veux vous reconduire à l’abbaye.

— Cela est inutile, John ; l’innocence, en certaines occasions, ne connaît pas plus la crainte que le courage le plus intrépide ; mais je n’ai aucun motif de crainte. Je vais prendre un chemin qui me conduira à Sainte-Ruth sans m’obliger à repasser près de vos soldats, et où je ne rencontrerai que celui qui est présent partout pour protéger les délaissés. Adieu encore une fois, John. La voix lui manqua presque pour ajouter : Vous partagerez le sort commun de l’humanité ; vous aurez vos moments de soucis et de faiblesse ; vous pourrez alors vous rappeler ceux que vous laissez sur cette île que vous méprisez, et vous penserez peut-être à quelqu’un dont les vœux pour votre bonheur furent toujours purs et désintéressés.

— Que Dieu vous accompagne, Alix ! s’écria le pilote touché de son émotion et oubliant un moment le rêve de son ambition pour s’abandonner aux mouvements de son cœur ; mais je ne puis souffrir que vous vous en alliez seule.

— C’est ici que nous nous séparons, John, dit-elle avec fermeté, et que nous nous séparons pour toujours.

Elle retira doucement sa main qu’il retenait encore, en lui disant un dernier adieu d’une voix presque éteinte ; elle se détourna, et prit un chemin qui conduisait à l’abbaye.

Le premier mouvement du pilote était de la suivre et de veiller à ce qu’il ne pût lui arriver aucun accident en chemin ; mais au même instant le tambour des soldats de marine battit un appel sur le rocher, et le sifflet de contre-maître fit entendre sur le rivage des sons aigus, signal que la dernière barque allait partir.

Obéissant à cet appel, cet homme singulier, dont les sentiments aigris, qui étaient alors sur le point de se manifester par une soudaine et violente explosion, avaient été longtemps étouffés par les espérances d’une ambition démesurée, et peut-être par un ressentiment profond, se mit en route vers le rivage, entièrement absorbé dans ses réflexions.

À peine avait-il fait quelques pas, qu’il rencontra les soldats de Borroughcliffe, désarmés à la vérité, mais libres et rentrant dans l’intérieur du pays. Il était trop occupé des idées qui l’agitaient pour faire attention à cet acte de générosité de Griffith, et il passa