Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/371

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Dans la nuit en question, M. Boltrop avait invité le chapelain à l’accompagner à bord de l’Alerte, en lui disant dans son langage grossier que, comme on allait se chamailler à terre, il se trouverait peut-être quelque pauvre diable qui aurait besoin de son aide pour lever l’ancre en sortant du port de cette vie. Le chapelain avait accepté cette singulière invitation, autant peut-être pour faire diversion à la monotonie de son genre de vie que par un secret amour pour la terre ferme, qui lui faisait désirer de s’en approcher le plus possible.

En conséquence, lorsque le pilote fut parti avec sa suite nombreuse, le quartier-maître resta en pleine et paisible possession du cutter, n’ayant avec lui que le chapelain, un aide contre-maître et une douzaine de matelots. Les deux principaux membres de cet équipage passèrent les premières heures de leur solitude relative dans la petite cabane du navire, séparés par une table sur laquelle était un pot de grog destiné à les rafraîchir pendant une dissertation sur divers sujets polémiques, à laquelle ils se livraient chacun à sa manière, et que le lecteur regrettera peut-être de ne pas trouver ici. Cependant quand le vent devint plus favorable pour s’approcher des côtes ennemies, le prudent quartier-maître ajourna la discussion à un moment plus convenable, et par un seul et même mouvement il se transporta, lui et son pot de grog, sur le gaillard derrière.

— Là ! dit le vieux marin après avoir déposé son fardeau sur le tillac, à côté de lui, d’un air satisfait de lui-même, voilà comme il faut vivre sur un vaisseau. Savez-vous, ministre, qu’il y a beaucoup de ce que j’appelle du bavardage de marins d’eau douce à bord de certaine frégate que je ne nommerai pas, mais qui est en ce moment quelque part à environ trois lieues de nous en mer, en panne sous ses voiles de grand et de petit hunier ? Buvez, ministre ; il n’y a pas une main comme la mienne pour préparer un pot de grog. — Eh ! vous autres, tirez donc encore les drisses des huniers ! — Je vous réponds que par cette nuit sombre ce grog vous fera briller l’œil comme un phare. Buvez, vous dis-je, songez que ce rum vient du magasin des Anglais ; il faut y faire honneur.

Boltrope ne manqua pas prêcher d’exemple, et après avoir bu un grand coup à même le pot, il ajouta :

— Savez-vous bien que vous ressemblez un peu à notre premier