Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/377

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main, les uns se divertissaient par de bruyantes plaisanteries, tandis que les autres, excités par le succès, juraient et faisaient des menaces contre l’ennemi. Enfin le tumulte qui avait suivi le retour des barques se calma peu à peu. La plupart des marins descendirent à fond de cale dans l’espoir de trouver assez de place pour y étendre leurs membres, tandis que d’autres, restant sur le pont, chantaient ces airs que les marins entendent toujours avec tant de plaisir. Cependant ce concert nautique céda à la fatigue ; ceux qui chantaient comme ceux qui écoutaient s’étendirent sur le tillac pour chercher le repos dont ils avaient besoin ; et tandis que leur corps s’abandonnait au roulis du navire, leurs rêves transportaient peut-être leur esprit en Amérique au milieu des scènes de leur jeunesse. Les yeux noirs de Catherine étaient cachés sous ses paupières, et Cécile même, la tête appuyée sur l’épaule de sa cousine, dormait tranquillement du sommeil de la paix et de l’innocence. Boltrope descendit à fond de cale, y chercha à tâtons la place qui lui parut la plus commode, chassa d’un coup de pied le matelot qui l’occupait, et s’y établit sans s’inquiéter de ce que deviendrait celui qu’il expulsait, parce qu’il se souvenait encore du temps où il avait été lui-même traité sans plus de cérémonie. Ce fut ainsi que toutes les têtes de l’équipage se baissèrent tour à tour sur les planches du navire ; deux hommes seuls continuaient à veiller, Griffith et Barnstable, qui se promenaient en silence et d’un air hautain, chacun d’un côté du gaillard d’arrière.

Jamais ce qu’on appelle le quart du matin n’avait paru si long aux deux jeunes marins, que l’orgueil et le ressentiment privaient ainsi de cette intimité cordiale qui avait adouci si longtemps les fatigues et l’ennui de leur service. Pour ajouter encore à l’embarras de leur situation, Cécile et Catherine quittèrent leur petite cabane pour venir respirer un air plus pur sur le tillac, précisément à l’instant où le plus profond sommeil engourdissait les sens des marins fatigués. Elles y restaient appuyées sur le tableau du couronnement de la poupe, gardant le silence, ou s’adressant quelques mots à voix basse. Mais ayant été témoins de la querelle qui avait eu lieu entre leurs amants, et voyant la mésintelligence qui en était la suite, elles ne se permettaient ni un geste ni un coup d’œil que l’un des deux jeunes gens pût regarder comme une invitation à s’approcher de l’une d’elles de préférence à l’autre.