Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/391

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ponts pour songer à autre chose ; mais en entendant les observations du pilote, qui parlait avec sang-froid quoiqu’en homme qui sentait parfaitement le danger qu’on avait à craindre, il eut recours au télescope et examina avec soin la position et les manœuvres des divers navires qu’on avait en vue. Il lui parut certain que l’officier dont le pavillon flottait sur le haut du grand mât du vaisseau à trois ponts voyait la situation critique de la frégate à laquelle il donnait la chasse, sans quoi il n’aurait pas hésité à s’en rapprocher et à lui lâcher de nouvelles bordées. Mais la prudence lui inspirait le dessein d’ôter à son ennemi tout moyen de lui échapper, en le pressant de si près en arrière qu’il lui fût impossible de gagner la pleine mer en filant entre son propre vaisseau et la frégate de son escadre qui en serait la plus voisine.

Le lecteur le moins expérimenté en marine comprendra aisément cette manœuvre en suivant l’œil intelligent de Griffith qui parcourait successivement toutes les parties de l’horizon. À l’ouest étaient les côtes d’Angleterre, le long desquelles l’Alerte marchait autant qu’il était possible, tant pour se tenir droit par le travers de sa conserve que pour éviter la proximité dangereuse d’un ennemi trop redoutable. Du côté de l’est et à tribord de la frégate américaine était le navire qu’on avait vu le premier, qui montrait alors toutes les apparences hostiles d’un bâtiment de guerre, et qui, se dirigeant vers elle par une ligne convergente, s’en approchait rapidement. Enfin bien loin vers le nord-ouest, était un vaisseau qu’on distinguait à peine, mais sur les manœuvres duquel on ne pouvait se méprendre, pour peu que l’on connût la tactique navale.

— Je vois que nous sommes enfermés, dit Griffith en quittant le télescope, et je crois que le parti le plus prudent que nous puissions prendre est de nous rapprocher de terre, et de passer entre les côtes et le vaisseau amiral, au risque de quelques bordées.

— Pourvu qu’il vous laisse un haillon de voile, répliqua le pilote. Non, Monsieur, non, c’est une vaine espérance ; en dix minutes, il ne vous resterait que les planches de votre frégate ; son pont serait rasé ; Dieu sait même ce qui nous serait resté après la première bordée, si la plupart des boulets ne se fussent relevés en frappant une grosse vague ! Il faut mettre la plus grande distance que nous pourrons et le plus promptement possible entre le vaisseau à trois ponts et nous.