Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/397

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dages tenant encore aux tronçons de ses mâts à pible, et flottant au gré du vent.

Tandis que la frégate victorieuse s’éloignait de la scène de confusion qu’elle avait occasionnée, et quand elle fut sortie de l’atmosphère de fumée épaisse dans laquelle elle laissait le navire désemparé, Griffith se souvint que ce n’était pas le seul ennemi qu’il eût à rencontrer, et ce ne fut pas sans inquiétude qu’il jeta un regard vers l’horizon.

— Nous nous sommes assez heureusement débarrassés du vaisseau de trente-deux, dit-il au pilote qui suivait tous ses mouvements avec un intérêt singulier ; mais en voici un autre qui porte le même numéro que nous, et qui paraît avoir dessein de nous voir de plus près ; d’un autre côté, voilà le quatre-vingt-dix qui se rapproche, et je crains qu’il n’arrive trop tôt.

— Il faut nous servir de nos vergues et de nos voiles, répondit le pilote, et ne pas songer à aborder cette nouvelle frégate. Il faut faire d’une pierre deux coups, Monsieur, et combattre cet autre ennemi par nos ailes et par nos canons.

— Il est donc temps de s’y préparer ; car le voilà qui cargue ses voiles, et il s’approche si rapidement que nous devons nous attendre à avoir de ses nouvelles dans quelques minutes. Quel est votre avis, Monsieur ?

— Laissons-le carguer ses voiles, et quand il croira nous tenir, nous déploierons toutes les nôtres en un instant en jetant à la fois deux cents bras sur nos vergues. Nous pourrons alors gagner sur lui par surprise. Mais il faut attendre qu’il soit dans nos eaux pour faire tomber nos voiles.

— Ce projet peut réussir ! s’écria Griffith. Allons, camarades, nettoyez le pont, descendez les blessés à fond de cale ; et quant aux pauvres diables qui sont morts, comme nous avons déjà les mains assez pleines, il faut les jeter à la mer.

On s’acquitta de ces tristes soins, et le nouveau commandant de la frégate s’occupa de ses autres devoirs avec une attention qui prouvait qu’il sentait toute sa nouvelle responsabilité. Ses occupations multipliées ne l’empêchèrent pourtant pas d’entendre la voix de Barnstable qui appelait Merry avec une sorte d’impatience. Il tourna la tête vers le côté d’où partait le son, et vit son ancien ami, le corps à demi sorti de la grande écoutille, le visage noirci par la fumée, sans habit, et sa chemise couverte de sang.