Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/40

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Cet ordre fut exécuté promptement, et, en quelques moments, l’Ariel fut couvert de toutes ses voiles. Quoiqu’on ne sentît pas un souffle de vent sur le tillac de la frégate, le petit schooner était si léger, qu’à l’aide du reflux et d’un reste de brise de terre dans la partie supérieure de l’atmosphère, il réussit à se frayer un chemin à travers les ondes soulevées, et en moins d’un quart d’heure à peine pouvait-on l’apercevoir à la lueur de la bande de lumière qui s’étendait à l’horizon.

Griffith, de même que tous les autres officiers, avait écouté en silence le dialogue qui précède ; mais quand il vit l’Ariel disparaître, il s’élança du canon sur le pont, et s’écria :

— Il vogue, sur ma foi ! comme un navire qu’on lance à la mer ! Eh bien ! capitaine, ferai-je lever l’ancre pour que nous le suivions ?

— Je ne vois pas d’autre alternative, répondit le vétéran. Vous avez entendu la question, monsieur Gray, qu’en dites-vous ?

— C’est le seul parti à prendre, capitaine Munson, dit le pilote. Le peu de marée qui nous reste suffira à peine pour nous conduire hors de danger. Je donnerais cinq années d’une vie qui n’a plus longtemps à durer pour que la frégate fût à un mille plus loin en mer.

Cette dernière remarque, ayant été faite à voix basse, ne fut entendue que par le commandant, qui se retira encore à l’écart avec le pilote. Mais, pendant qu’ils recommençaient leur conversation mystérieuse, Griffith ne perdit pas un instant pour exécuter l’ordre qu’il venait de recevoir, et il ordonna qu’on levât l’ancre.

Le son du fifre se fit entendre de nouveau, ainsi que le bruit des pas mesurés des matelots autour du cabestan. Pendant que les uns levaient l’ancre, les autres détachaient les voiles des vergues et les déployaient pour leur faire recevoir la brise. Tandis qu’on exécutait ces manœuvres, le premier lieutenant donnait des ordres partout au moyen de son porte-voix, et l’on y obéissait avec la promptitude de la pensée. Dans l’obscurité presque complète qui régnait, on voyait sur les vergues, sur les cordages, des groupes d’hommes qui semblaient suspendus en l’air, et l’on entendait partir des cris de toutes les parties du vaisseau. — La voile de perroquet est parée ! criait une voix aiguë qu’on aurait cru descendre des nuages. — La misaine est parée ! disait un marin