Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/420

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autres stations opposées des deux pays. Mais cette liaison se termina d’une manière subite par la mort malheureuse du capitaine Manuel. Ce rigide observateur de la tactique militaire ne hasardait jamais sa personne sur le territoire neutre de la petite île sans se faire accompagner d’un détachement qu’il plaçait en piquet, précédé d’une ligne de sentinelles d’observation. Il avait même recommandé à son ami d’adopter la même pratique, comme propre à maintenir la discipline et à éviter toute surprise de la part de l’une ou de l’autre garnison. Le major avait négligé cette précaution, mais il avait assez de bonté d’âme pour ne pas s’offenser du manque de confiance qu’elle semblait indiquer.

Il arriva malheureusement un jour que la discussion d’une nouvelle importation de liquides se prolongea fort avant dans la nuit. Manuel quitta la cabane pour rejoindre son piquet ; mais il se trouvait dans un tel état d’aberration mentale que lorsque sa propre sentinelle lui cria : Qui vive ? il oublia ce qu’il devait lui répondre ; et le soldat, grâce aux soins de son capitaine, était arrivé à un tel degré de perfection dans la discipline militaire, qu’il s’inquiétait peu de tuer un ami ou un ennemi, pourvu qu’il le fît suivant les règles. Le drôle, n’obtenant pas de réponse, fit feu sans s’embarrasser sur qui, et blessa mortellement son capitaine. Manuel vécut pourtant assez pour donner des louanges à sa conduite et l’en récompenser en lui conférant le grade de caporal ; il mourut entre les bras de Borroughcliffe en vantant le haut degré de perfection de la discipline qu’il avait introduite dans sa compagnie.

Environ un an avant ce fatal événement, un baril de vin avait été acheté pour les deux amis dans la partie méridionale de l’île de Madère. On l’avait fait arriver par le port de la Nouvelle-Orléans, pour le tenir le plus longtemps possible sous l’influence bienfaisante du soleil ; il avait ensuite remonté le Mississipi ; il remontait alors l’Ohio, et la mort prématurée de son ami mettant Borroughcliffe dans la nécessité de veiller sur ce trésor, précieux reste de leur goût mutuel, il se procura un congé d’absence pour aller lui-même à sa rencontre et veiller à ce qu’il arrivait sans accident au lieu de sa destination. Le résultat de cette expédition fut une fièvre chaude qui se déclara le lendemain de son retour dans son fort ; et comme le docteur et le major avaient chacune une théorie différente sur la manière de traiter une maladie si