Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/423

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ment me figurer cette scène horrible ; — et en parlant ainsi le souvenir qu’elle en conservait encore après un si long intervalle de temps effaça les couleurs de ses joues. — Mais pourquoi me parlez-vous de lui ? Avez-vous vu son nom dans ces journaux ? ce sont des journaux anglais, je crois. Il se nommait Gray, si je m’en souviens bien.

— Du moins tel est le nom qu’il portait parmi nous. C’était un homme qui s’était formé des idées romanesques de la gloire, qui cherchait à se cacher quand le rôle qu’il jouait ne lui paraissait pas propre à augmenter sa renommée ; c’est par suite d’une promesse solennelle que je lui ai faite que je me suis toujours abstenu de le nommer. Maintenant il est mort.

— Est-il possible qu’il y ait eu quelques relations entre lui et miss Dunscombe ? demanda Cécile d’un air pensif en laissant tomber son ouvrage sur ses genoux. Elle eut un entretien particulier avec lui la nuit où Catherine et moi nous allâmes vous rendre visite : elle paraissait le désirer vivement ; elle revint fort émue, et ma cousine me dit tout bas qu’ils se connaissaient. La lettre que j’ai reçue hier de miss Dunscombe était cachetée en cire noire, et j’ai éprouvé une surprise pénible en voyant de quelle manière douce et mélancolique elle m’y parlait du passage de cette vie à une autre.

Griffith jeta sur sa femme un coup d’œil qui semblait dire qu’il se sentait éclairé tout à coup.

— Je crois que votre conjecture est juste, Cécile, lui répondit-il ; cinquante circonstances qui se représentent en ce moment à mon esprit, la connaissance qu’il avait de la navigation de ces dangereux parages, de l’abbaye, de ses environs, son expédition, la manière habile dont il l’a conduite, tout confirme vos soupçons. C’était un homme d’un caractère prononcé !

— Et pourquoi n’est-il pas venu en ce pays ? Il paraissait dévoué à notre cause.

— Son dévouement à l’Amérique était le résultat de l’ambition, sa passion dominante. Peut-être aussi était-il dû au ressentiment que lui avaient inspiré quelques injustices qu’il paraît qu’il avait éprouvées dans son pays. Il était homme, et par conséquent il ne pouvait être exempt de faiblesses. L’orgueil que faisaient naître en lui ses exploits en était peut-être une ; mais ils avaient été brillants et dignes d’admiration, et il ne méritait pas la moitié des