Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/51

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commandant ; la frégate perd son air. Ne faudrait-il pas jeter une ancre ?

— Dégagez la seconde ancre ! s’écria Griffith.

— N’en faites rien ! s’écria le pilote d’une voix qui fit tressaillir tout l’équipage ; gardez-vous bien de le faire !

Le premier lieutenant jeta un regard courroucé sur l’audacieux étranger qui contrevenait ainsi à la discipline.

— Comment osez-vous donner des ordres contraires aux miens ? s’écria-t-il. Ne vous suffit-il pas d’avoir conduit la frégate dans un pareil danger ? Faut-il encore que vous mettiez obstacle à une manœuvre nécessaire pour l’en tirer ? si vous prononcez encore un mot…

— Silence, monsieur Griffith, s’écria le capitaine, qui, tout occupé qu’il était du soin de veiller à la sonde, montra un instant à la lueur de sa lanterne, ses traits inquiets et soucieux ; remettez le porte-voix à M. Gray : il n’y a que lui qui puisse nous sauver.

Griffith jeta son porte-voix sur le tillac, d’un air de dépit, et murmura avec un ton d’amertume en se retirant :

— En ce cas, tout est perdu, et entre autres choses le fol espoir que j’avais conçu en venant sur ces côtes.

Personne ne songea à lui répondre ; le vaisseau avait été rapidement entraîné par le vent, et les efforts de l’équipage avaient été paralysés par les ordres contradictoires qu’il avait reçus. La frégate perdit son air peu à peu, et en quelques secondes toutes ses voiles furent coiffées.

L’équipage eut à peine le temps de reconnaître cette situation dangereuse, car le pilote, ramassant le porte-voix avec la rapidité de l’éclair, donna des ordres que la circonstance exigeait, d’une voix que le vent et les vagues semblaient s’efforcer en vain de couvrir. Il ordonnait chaque manœuvre de la manière la plus distincte, et avec une précision qui prouvait qu’il connaissait parfaitement sa profession. La barre du gouvernail fut tenue d’une main ferme ; les vergues de l’avant firent pesamment leur évitée contre le vent, et le vaisseau tournant sur sa quille fit bientôt un mouvement rétrograde.

Griffith était trop bon marin pour ne pas reconnaître que le pilote avait saisi, avec une présence d’esprit admirable, le seul moyen qui pût tirer le vaisseau du danger. Il était jeune, fier et impétueux ; mais il ne manquait pas de générosité. Oubliant son