Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/52

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ressentiment et la mortification qu’il avait éprouvée, il se jeta au milieu des marins, et par sa voix et son exemple, contribua puissamment au succès de cette manœuvre. La frégate fit lentement son abattée devant le vent, abaissa ses vergues presque au niveau de l’eau, tandis que les vagues se brisaient violemment contre sa poupe, comme pour lui reprocher de se départir de sa manière ordinaire de voguer.

Cependant on entendait toujours la voix du pilote, ferme, calme, mais si forte et si distincte, qu’elle arrivait à toutes les oreilles, et les marins, obéissant à ses ordres, faisaient tourner les vergues en dépit de la tempête, comme s’ils avaient manié les jouets de leur enfance. Lorsque la frégate eut suffisamment reculé, on secoua ses voiles de l’avant ; on orienta ses vergues de l’arrière, et l’on changea la position de la barre du gouvernail avant qu’elle eût le temps de courir de nouveau vers le danger qui l’avait menacée, tant de proue que de tribord. Le navire, docile à la manœuvre, reprit alors le vent, et sortit du milieu des écueils entre lesquels il était affalé, aussi rapidement qu’il s’y était avancé.

Un moment de surprise si forte qu’elle empêchait presque de respirer, suivit cette manœuvre adroite ; mais on n’avait pas le temps de songer à l’exprimer par des paroles. Le pilote ne quittait pas le porte-voix, et commandait au milieu des mugissements de la tempête, toutes les fois que la prudence et l’expérience lui suggéraient quelque changement à faire dans la manœuvre. On continua pendant environ une heure à lutter, ainsi contre ces dangers toujours renaissants ; car on était dans un canal étroit, formé par des rochers cachés sous les eaux, et dont le nombre augmentait à mesure qu’on avançait. On avait toujours la sonde en main ; l’œil vif du pilote semblait percer les ténèbres avec une facilité qui tenait du prodige, et tous ceux qui étaient à bord sentaient qu’ils étaient conduits par un homme qui connaissait parfaitement la navigation, et dont les efforts répondaient à la confiance qu’ils avaient alors en lui.

Plus d’une fois la frégate fut sur le point de heurter contre des écueils qui n’étaient indiqués que par la masse d’écume dont la mer les couvrait, et sur lesquels elle se serait brisée d’une manière aussi subite que certaine : mais la voix ferme du pilote avertissait l’équipage de chaque péril, et commandait la manœuvre néces-