Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 3, 1839.djvu/71

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commença à faire tourner un encrier avec beaucoup d’art, tandis que de l’autre il prit une plume qu’il porta à sa bouche, et qu’il paraissait mâcher avec le même plaisir que si c’eût été une feuille de la fameuse herbe de Virginie. Voyant enfin qu’on attendait une réponse, il regarda à droite, puis à gauche, et finit par dire ce qui suit d’une voix rauque et enrouée, que les brouillards et l’humidité de la mer avaient privée de tout ce qui aurait pu ressembler à de la mélodie :

— Si ce que vous dites est un ordre, capitaine, il faut le remplir, je suppose ; car la vieille règle est : — Obéissez aux ordres, quand vous devriez ruiner l’armateur ; — quoique l’ancienne maxime qui dit : — Une main pour l’armateur et l’autre pour vous, — ne soit pas mauvaise, car elle a sauvé plus d’un navire dont la perte aurait fait la balance des registres du munitionnaire. Ce n’est pas que je veuille dire que les registres du munitionnaire ne valent pas ceux de toute autre personne, mais c’est que quand un homme est mort il n’y a plus de compte à lui demander. Ainsi donc, — s’il faut exécuter les ordres, la question suivante est : — comment faut-il les exécuter ? — À cet égard il y a bien des gens qui savent quand un vaisseau porte trop de voiles, mais ce n’est pas l’affaire de tout le monde de savoir les diminuer. Ainsi donc, s’il faut réellement faire des prisonniers, il faut débarquer un détachement pour s’en emparer, ou bien les tromper par de faux signaux et de faux pavillons pour les attirer vers le vaisseau. Quant au débarquement, vous ferez attention, capitaine Munson, que je ne parle que pour un, et c’est moi ; je vous dirai que si vous pouvez faire entrer la tête de la frégate par la fenêtre de la salle à manger du roi d’Angleterre, j’y consens de tout mon cœur, et je me soucie fort peu qu’on lui casse ses vitres. Mais appuyer le bout du pied sur les côtes sablonneuses (je ne parle que pour un, comme je le disais), si j’en fais rien, je veux être damné.

Les jeunes officiers sourirent de la manière franche et rude avec laquelle le vieux marin exprimait ses sentiments, sa chaleur croissant avec son sujet jusqu’à ce qu’il arrivât à ce qui était pour lui le dernier argument dans toute la discussion. Le capitaine, qui n’était lui-même qu’un élève un peu plus policé de cette ancienne école de marine, parut comprendre parfaitement ce qu’il voulait dire, et sans perdre l’impassibilité de ses traits, il demanda l’opinion du dernier lieutenant.