Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/184

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vivre uniforme et monotone, et il me semble que la véritable politesse exige de nous que nous le laissions nous quitter pour la caserne, sans chercher à contraindre ses gouts.

— Combien vous vous méprenez sur mes motifs, si vous pouvez croire que le désir de vous quitter…

— Oh ! Monsieur, trêve d’explications. Vous nous avez allégué tant de raisons, que vous avez oublié de nous parler de la seule qui vous détermine. Ce n’est, ce ne peut être que l’ennui.

— Alors je resterai, dit Lionel ; tout est préférable pour moi au chagrin d’être soupçonné d’ingratitude.

Cécile le regarda d’un air à la fois charmé et mécontent ; elle jouait avec sa cuillère pour cacher son embarras, mordait ses jolies lèvres ; enfin elle lui dit d’un ton plus amical :

— Je vois bien qu’il faut que je retire mon accusation pour vous rendre votre liberté. Allez habiter votre nouveau logis, si cela vous plaît, et nous ajouterons foi aux motifs inconcevables que vous nous donnez pour ce changement. Mais, comme notre parent, nous comptons bien que vous viendrez nous voir tous les jours.

Lionel n’avait plus aucune excuse pour ne pas persister dans la résolution qu’il avait annoncée, et malgré la répugnance que Mrs Lechmere témoigna à se séparer de son neveu, résistance qui faisait un contraste si singulier avec sa froideur ordinaire et ses manières composées, le déplacement projeté s’effectua dans le courant de la même matinée.

Tandis que ces choses se passaient dans l’intérieur de la famille de Lionel, plusieurs semaines s’écoulèrent sans apporter aucun changement dans la situation politique des affaires ; les renforts attendus continuaient à arriver, et plusieurs généraux débarquèrent successivement pour aider dans la conduite de cette guerre le général Gage, qui eût pu mériter le nom de temporiser. Ceux des colons qui n’avaient point encore secoué leur timidité naturelle étaient effrayés en entendant la longue liste de noms fameux et vantés qui venaient tous les jours grossir les rangs de l’armée. Parmi eux on remarquait Howe, homme issu d’une noble race, connue depuis longtemps par ses faits d’armes, et dont le chef avait déjà arrosé de son sang le sol de l’Amérique ; Clinton, autre cadet d’une illustre maison, qui s’était plus distingué jusqu’alors par son intrépidité personnelle et son affabilité pour le soldat