Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/256

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— J’en sors, répondit Polwarth d’un ton grave. Ce drôle est votre protégé, major Lincoln ; mais vous portez peut-être l’indulgence trop loin. Je viens vous chercher à la requête de deux beaux yeux bleus, qui, depuis une demi-heure, demandent à tous ceux qui entrent dans l’église pourquoi le major Lincoln n’y est pas encore.

Lionel lui fit ses remerciements, feignit de sourire du ton grave qu’avait pris son ami, et, sans plus de délai, ils entrèrent tous deux dans l’église et se placèrent dans le banc de Mrs Lechmere. Les idées religieuses qui occupèrent alors Lionel bannirent insensiblement de son esprit les réflexions pénibles qu’avait fait naître son entrevue avec Job. Il entendit la respiration pénible et entrecoupée de l’être aimable qui était agenouillé à son côté, pendant que le ministre lisait les actions de grâces qui le concernaient personnellement, et quelque reconnaissance terrestre se mêlait au sentiment de gratitude qu’il élevait vers le ciel. Sous le voile transparent qui couvrait le visage de Cécile, il vit ses yeux pleins de douceur prendre la même direction, et il se rassit aussi heureux que peut l’être un amant bien épris quand il se sent assuré de posséder l’affection d’une jeune personne aussi pure qu’aimable.

Le service divin n’offrit peut-être pas autant de consolation à Polwarth. Lorsqu’il fut question de se lever, il se remit d’abord avec un peu de difficulté sur sa jambe solitaire, et jetant un regard fort équivoque sur ce qui remplaçait l’autre, il toussa, et fit un tel bruit en traînant sa jambe de bois sur le plancher du banc, qu’il attira sur lui tous les yeux, comme s’il avait voulu que toute la congrégation pût rendre témoignage que c’était pour lui qu’on venait d’offrir au ciel des actions de grâces.

Le ministre qui officiait était trop discret pour fatiguer l’attention des officiers de l’état-major en leur donnant un échantillon de son éloquence sacrée. Il fut une minute à prononcer son texte de manière à faire impression. Il en mit trois à l’exorde. Dix lui suffirent pour les deux points de son discours, et il termina sa péroraison en quatre minutes et demie, ayant ainsi le plaisir de voir, par cinquante montres qui furent tirées en même temps, et par le nombre de visages satisfaits qu’il apercevait de toutes parts, qu’on trouvait universellement qu’il venait de débiter un discours très-orthodoxe.