Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/297

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passé, que par l’impossibilité de contenir les sensations impétueuses qui bouillonnaient dans son cœur, que le major Lincoln se conforma à sa demande. D’une voix devenue calme par l’excès même de son émotion, il lut le contenu du billet fatal, et si distinctement que chaque mot résonnait à l’oreille de son épouse, au milieu du silence qui l’entourait, comme des avertissements prophétiques sortis du sein même du tombeau.

« L’état de la ville a empêché de donner à la maladie de Mrs Lechmere cette attention soutenue que sa position rendait nécessaire. Une gangrène intérieure s’est formée, et le soulagement qu’elle éprouve actuellement n’est que l’avant-coureur de sa mort. Je crois de mon devoir de prévenir que, quoiqu’il soit possible qu’elle vive encore quelques heures, il n’est pas probable qu’elle passe la nuit. »

Au bas de ce billet court, mais terrible, était la signature bien connue du médecin qui l’avait soignée. Quel changement soudain et imprévu ! Tout le monde avait cru que la maladie s’était éloignée, lorsque au contraire elle attaquait sourdement les parties les plus vitales. Laissant retomber ses bras, Lionel s’écria dans le premier mouvement de surprise :

— Qu’elle passe la nuit ! Grand Dieu ! se pourrait-il ?

L’infortunée, lorsque l’espèce d’attaque nerveuse qu’elle avait eue fut passée, promena son œil inquiet de figure en figure, et écouta avidement la lecture du billet. On eût dit qu’elle se flattait de voir briller un rayon d’espérance sur leurs physionomies. Mais le langage du médecin était trop clair, trop positif, pour qu’il fût possible de s’y méprendre. Sa concision même lui imprimait le cachet terrible de la vérité.

— Le croyez-vous donc ? demanda-t-elle d’une voix étouffée, comme si elle voulait rejeter loin d’elle cette affreuse conviction ; vous, Lionel Lincoln, que j’avais cru mon ami !

Lionel se détourna en silence pour éviter le douloureux spectacle de sa misère ; mais Cécile se jeta à genoux au pied de son lit, et, joignant ses mains, offrant dans tous ses traits l’image consolante de l’espérance sanctifiée par la religion, elle dit à voix basse :

— Ce n’est pas l’ami sincère, ma chère grand’maman, qui doit flatter au moment du départ ; mais il est un appui plus sur et plus infaillible que tous ceux que ce monde pourrait offrir !