Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/300

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les sur moi ! s’écria Ralph avec chaleur, comme s’il voulait captiver son attention à tout prix, c’est moi qui te parle ; Priscilla Lechmere.

— Que veux-tu ? ma fille ? elle est dans son tombeau ! son enfant ? elle est mariée à un autre. Tu viens trop tard ! tu viens trop tard ! Plût à Dieu que tu me l’eusses demandée à temps !

— La vérité ! la vérité ! continua le vieillard d’une voix qui résonnait dans l’appartement en échos terribles et prolongés ; la stricte, l’entière vérité ! dis-nous-la, et rien autre.

Cet appel singulier et solennel réveilla la dernière énergie de l’agonisante, dont l’âme tout entière semblait se contracter au bruit des cris de Ralph ; elle fit un effort pour se soulever encore une fois, et s’écria :

— Qui dit que je vais mourir ? je n’ai que soixante-dix ans ! et hier encore je n’étais qu’une enfant, une enfant pure et sans tache ! il ment ! il ment ! je n’ai pas la gangrène, je suis forte, et j’ai encore des années à vivre, et du temps pour me repentir.

Dans les pauses qu’elle était obligée de faire, la voix du vieillard continuait à se faire entendre, criant toujours : La vérité ! la vérité ! la stricte vérité !

— Levez-moi, que je voie le soleil, continua la mourante. Où êtes-vous tous ? Cécile, Lionel, mes enfants, m’abandonnerez-vous à présent ? Pourquoi obscurcir la chambre ? Donnez-moi du jour, plus de jour, plus de jour ! Je vous en conjure au nom de tout ce qui est au ciel et sur la terre, ne n’abandonnez pas dans cette sombre et terrible obscurité !

Son air était devenu si hagard, ses traits si livides, que la voix de Ralph lui-même en fut comprimée, et elle continua à pousser les derniers cris du désespoir :

— Pourquoi me parler ainsi de mort ? ma vie a été trop courte ! Donnez-moi des jours, donnez-moi des heures, donnez-moi des moments ! Cécile, Agnès, Abigaïl, où ètes-vous ? soutenez-moi, ou je tombe !

Elle souleva la tête par un dernier effort, et semblait vouloir se cramponner au vide de l’air. Lionel avait avança la main à son secours ; elle la trouva, la saisit, fit un affreux sourire, comme si elle avait enfin trouvé un appui ; puis, retombant de nouveau, après un tremblement convulsif, la partie mortelle de son être entra dans un état de repos éternel.