Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/333

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frénétique, et au même instant une douzaine de bouts de corde enflammés furent arrachés du feu, et suspendus sur la tête de la malheureuse victime. Job fit une faible tentative pour détourner le destin terrible qui le menaçait ; mais il n’avait d’autres moyens de résistance que des bras dépourvus de force, et des gémissements qui ne faisaient qu’exciter la dérision. Il était enveloppé d’un nuage de fumée, et la flamme commençait déjà à si attacher à une couverture, quand une femme se fit jour à travers la foule, arracha les combustibles des mains des soldats surpris, jeta par terre la couverture qui brûlait, éteignit le feu en le foulant aux pieds, et se mit devant Job comme une bonne furieuse qui veut défendre ses lionceaux ; elle resta un instant dans cette attitude, regardant les soldats la fureur dans les yeux, et palpitant d’une émotion trop forte pour qu’il lui fût possible de parler. Mais elle retrouva bientôt la parole, et ce fut pour s’exprimer avec cette intrépidité dont est toujours armée l’indignation d’une femme :

— Monstres sous la forme d’hommes ! s’écria-t-elle d’une voix qui s’éleva au-dessus du tumulte qui régnait, et qui imposa silence à toutes les autres ; que faites-vous ici ? avez-vous des corps sans âme ? la forme des créatures de Dieu sans en avoir les entrailles ? Qui vous a donné le droit de juger et de punir les péchés des autres ? y a-t-il un père parmi vous ? qu’il vienne voir le spectacle d’angoisse d’un fils expirant ! S’y trouve-t-il un fils ? qu’il s’approche, et qu’il voie le désespoir d’une mère ! Sauvages plus sauvages que les animaux qui rugissent dans le désert, car ils ont pitié de leurs semblables, que faites-vous ? que voulez-vous faire ?

L’air d’intrépidité maternelle avec lequel furent prononcés ces mots, qui partaient du cœur, imposa d’abord aux soldats furieux, qui se regardèrent les uns les autres avec un étonnement stupide, comme s’ils n’eussent su quel parti prendre. Mais le silence ne dura qu’un moment, et il fut encore interrompu par le cri redoutable : — Sang pour sang !

— Lâches ! misérables ! soldats de nom et démons par vos actions, s’écria l’intrépide Abigaïl Pray, êtes-vous venus ici pour boire le sang humain ? Allez-vous-en ; allez vous mesurer sur les hauteurs voisines avec des hommes qui vous attendent les armes à la main, et ne venez pas ici écraser un réseau brisé ; l’infortuné, frappé comme il l’est par une main plus puissante que la vôtre,