Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/407

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ne soit en état de faire pour triompher de la faiblesse de notre nature.

— Avez-vous rencontré deux hommes et une femme qui s’enfuyaient du village ? lui demanda le soldat en lui criant à l’oreille.

— Deux… deux hommes, — dites-vous ? demanda le vieillard en tournant la tête un peu de côté dans une attitude de réflexion.

— Oui, deux hommes.

— Non, je n’ai pas rencontré deux hommes s’enfuyant du village, dites-vous ?

— Oui, comme si le diable les poursuivait.

— Non, je n’ai rencontré personne qui s’enfuyait. C’est signe qu’on est coupable quand on s’enfuit. A-t-on offert quelque récompense pour celui qui les arrêterait ?

— Non, ils viennent seulement de s’échapper.

— Le plus sûr moyen d’attraper un voleur, c’est d’offrir une bonne récompense. Non, je n’ai pas rencontré deux hommes. Vous êtes bien sûr qu’il y en avait deux ?

— Avancez donc avec ce chariot qui gêne le passage, avancez donc, s’écria un officier à cheval qui venait du quartier-général, et qui tâchait de rétablir un peu d’ordre dans les rues ; et ce peu de mots rappelant au vieux fermier l’idée du chemin qu’il avait encore à faire, il leva de nouveau son aiguillon, et remit ses bœufs en mouvement. Cependant il les faisait marcher encore plus lentement que de coutume, regardait en arrière, et s’arrêtait de temps en temps, comme s’il eût réfléchi s’il devait retourner sur ses pas. Enfin il monta sur sa voiture, et se plaça sur le foin de manière à pouvoir d’un œil conduire ses bœufs, et de l’autre examiner ses deux compagnons. Il resta ainsi occupé pendant près d’une heure sans qu’un seul mot fût prononcé de part ni d’autre. Alors le voiturier, convaincu sans doute que ses soupçons étaient mal fondés, descendit du haut de son chariot et reprit sa place à côté de ses bœufs ; peut-être aussi s’y décida-t-il parce que la route devenait plus difficile, et que les chariots s’en retournant à vide qu’on rencontrait à chaque pas, exigeaient qu’il donnât toute son attention à son attelage.

Lionel, dont les idées sombres s’étaient dissipées en partie par suite des scènes rapides et successives que nous venons de décrire, se sentit alors soulagé de toute crainte immédiate. Il chercha à faire partager à Cécile les nouvelles espérances qu’il concevait,