Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/412

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qui avait banni l’expression de satisfaction qu’on remarquait ordinairement sur sa physionomie. Abigaïl Prey laissa voir un plus grand changement dans son aspect ; elle baissa la tête sur sa poitrine, et fut saisie d’un tremblement universel en voyant Ralph paraître inopinément devant elle. Mais cette émotion violente ne dura qu’un instant, et ses mains reprirent leur humble occupation avec un mouvement aussi machinal qu’auparavant.

— Expliquez-moi cette scène de douleur silencieuse, dit Lionel à son ami ; par quel hasard vous trouvez-vous dans ce séjour de misère ?

— Votre question contient sa réponse, major Lincoln, répondit Polwarth avec gravité, sans cesser de fixer les yeux sur le malade ; je suis ici parce que la misère y règne, et que je cherche à la soulager.

— Le motif est louable ; mais de quel mal est attaqué ce jeune homme ?

— Les fonctions de la nature semblent suspendues en lui par quelque calamité cruelle. Je l’ai trouvé ici hier mourant d’inanition, et quoique je lui aie administré une nourriture aussi substantielle que pourrait le désirer le soldat le plus vigoureux de la garnison, vous voyez que sa situation présente des symptômes effrayants.

— Il a gagné la maladie contagieuse qui règne dans la ville, s’écria Lincoln en examinant Job plus attentivement. Quoi ! vous lui avez donné de la nourriture quand la fièvre était au plus haut degré !

— La petite vérole n’est qu’une maladie secondaire, quand celui qui en est attaqué souffre en même temps le mal plus terrible de la faim. Allez, allez, Lincoln, vous avez trop lu les poètes latins au collège, et vous n’avez pas pris le loisir d’étudier la philosophie de la nature. Il existe un instinct qui apprend, même à l’enfant, quel est le remède contre la faim.

Lionel ne se sentit pas disposé à discuter avec son ami un point sur lequel les opinions de Polwarth étaient inébranlables, et, se tournant vers Abigaïl, il lui dit :

— Votre expérience du moins aurait dû vous apprendre à avoir plus de prudence.

— L’expérience, répondit Abigaïl, peut-elle fermer les oreilles d’une mère aux gémissements que la faim arrache à son fils ? Non,