Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 4, 1839.djvu/415

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— Elle dit la vérité ! reprit Ralph d’un ton calme.

— Écoutez-le ! continua Abigaïl ; écoutez un terrible témoin que le ciel a envoyé ici, et qui atteste que ce que je dis n’est pas un mensonge. Il connaît le secret d’une faute que je croyais ensevelie dans l’affection d’un homme qui me devait tout.

— Femme ! s’écria Lionel, vous vous trompez vous-même en cherchant à me tromper. Quand une voix descendant du ciel confirmerait la vérité de ce conte abominable, je nierais que cet être misérable pût devoir le jour à une mère qui avait autant d’esprit que de beauté.

— Misérable comme vous le voyez, il n’en doit pas moins le jour à une mère qui n’était pas moins belle que la tienne que tu vantes tant, fils orgueilleux de la prospérité ! Tes blasphèmes ont beau insulter le ciel, il n’en est pas moins ton frère, ton frère aîné.

— C’est une vérité, une vérité solennelle ! dit encore le vieux Ralph.

— Impossible ! s’écria Cécile ; ne les croyez pas, Lincoln ! ils se contredisent.

— Je trouverai dans ta bouche de quoi te convaincre, lui dit Abigaïl. N’as-tu pas reconnu au pied des autels l’influence que le fils avait sur toi ? et pourquoi donc, jeune, vaine et ignorante comme je l’étais, n’aurais-je pas cédé à la séduction du père ?

— C’est donc toi qui es sa mère ! s’écria Lionel, respirant avec plus de liberté. Mais continuez, vous parlez devant des amis.

— Oui, oui, s’écria Abigaïl avec amertume et en joignant les mains, vous savez tous distinguer entre les fautes de l’homme et celles de la femme, major Lincoln ; toute misérable et toute souillée que vous me voyez, votre propre mère n’était pas plus belle et plus innocente, quand ma jeunesse et ma beauté attirèrent les yeux de votre père ; il était noble et puissant, j’étais faible et inconnue. Ce gage de notre faute commune ne vit le jour qu’après qu’il m’eut abandonnée pour votre mère.

— Le saint Évangile n’est pas plus vrai, dit Ralph d’une voix grave.

— Et mon père ! s’écria Lionel ; est-il possible qu’il vous ait laissée dans le besoin ?

— La honte arriva quand la vertu eut été oubliée, répondit Abigaïl. Je dépendais de ta race orgueilleuse, et les occasions ne me manquèrent pas pour voir son inconstance et son amour pour