Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/100

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quoique prononcés d’un ton calme et tranquille, semblaient avoir quelque chose de décidé. Chingachgook l’écouta avec sa gravité accoutumée, parut sentir l’importance de ce qu’il disait et y réfléchir profondément. Après avoir hésité un moment, il fit de la tête et de la main un geste d’approbation, et prononça en anglais le mot — Bon ! — avec l’emphase ordinaire à sa nation. Replaçant alors dans sa ceinture son tomahawk et son couteau, il se rendit en silence sur le bord du rocher, du côté opposé à la rive que les ennemis avaient occupée, s’y arrêta un instant, montra les bois qui étaient de l’autre côté, dit quelques mots en sa langue, comme pour indiquer le chemin qu’il devait suivre, se jeta dans la rivière, gagna le courant rapide, et disparut en peu d’instants aux yeux des spectateurs.

Le chasseur différa un moment son départ pour adresser quelques mots à la généreuse Cora, qui semblait respirer plus librement en voyant le succès de ses remontrances.

— La sagesse est quelquefois accordée aux jeunes gens comme aux vieillards, lui dit-il, et ce que vous avez dit est sage, pour ne rien dire de plus. Si l’on vous entraîne dans les bois, c’est-à-dire ceux de vous qu’on pourra épargner pour l’instant, cassez autant de branches que vous le pourrez sur votre passage, et appuyez le pied en marchant afin d’en imprimer les traces sur la terre : si l’œil d’un homme peut les apercevoir, comptez sur un ami qui vous suivra jusqu’au bout du monde avant de vous abandonner.

Il prit la main de Cora, la serra avec affection, releva son fusil qu’il regarda un instant d’un air douloureux, et l’ayant caché avec soin sous les broussailles, il s’avança vers le bord de l’eau, au même endroit que Chingachgook avait choisi. Il resta un moment, comme encore incertain de ce qu’il devait faire, et, regardant autour de lui avec un air de dépit, il s’écria : — S’il m’était resté une corne de poudre, jamais je n’aurais subi une telle honte ! — À ces mots, se précipitant dans la rivière, il disparut en peu d’instants, comme l’avait fait le Mohican.

Tous les yeux se tournèrent alors vers Uncas, qui restait appuyé contre le rocher avec un sang-froid imperturbable. Après un court silence, Cora lui montra la rivière, et lui dit :

— Vous voyez que vos amis n’ont pas été aperçus ; ils sont probablement maintenant en sûreté ; pourquoi tardez-vous à les suivre ?

— Uncas veut rester ici, répondit le jeune Indien en mauvais anglais, du ton le plus calme.