Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/167

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sortant de l’ombre des arbres qui le couvraient, il s’avança vers la sentinelle.

— D’où venez-vous, et où allez-vous de si bonne heure ? demanda la sentinelle.

— Je viens de faire une reconnaissance, et je vais me coucher.

— Vous êtes donc officier du roi ?

— Sans doute, mon camarade ! Me prends-tu pour un officier de la colonie ? Je suis capitaine dans les chasseurs.

Heyward parlait ainsi, parce qu’il voyait à l’uniforme de la sentinelle qu’il servait dans les grenadiers.

— J’ai avec moi les filles du commandant de William-Henry, que je viens de faire prisonnières, continua-t-il ; n’en as-tu pas entendu parler ? Je les conduis au général.

— Ma foi, Mesdames, j’en suis fâché pour vous, dit le jeune grenadier en portant la main à son bonnet avec grâce et politesse ; mais c’est la fortune de la guerre. Vous trouverez notre général aussi poli qu’il est brave devant l’ennemi.

— C’est le caractère des militaires français, dit Cora avec une présence d’esprit admirable. Adieu, mon ami ; je vous souhaiterais un devoir plus agréable à remplir.

Le soldat la salua, comme pour la remercier de son honnêteté ; Heyward lui dit : — Bonne nuit, camarade ; et la petite troupe continua sa route, laissant la sentinelle continuer sa faction sur le bord de l’étang, en fredonnant : Vive le vin ! vive l’amour ! air de son pays, que la vue de deux jeunes personnes avait peut-être rappelé à son souvenir.

— Il est fort heureux que vous ayez pu parler la langue du Français ! dit Œil-de-Faucon, lorsqu’ils furent à une certaine distance, en remettant le chien de sa carabine au cran du repos, et en la replaçant négligemment sous son bras. J’ai vu sur-le-champ que c’était un de ces Français, et bien lui en a pris de nous parler avec douceur et politesse, sans quoi il aurait pu rejoindre ses concitoyens au fond de cet étang. — Sûrement c’était un corps de chair ; car un esprit n’aurait pu manier une arme avec tant de précision et de fermeté.

Il fut interrompu par un long gémissement qui semblait partir des environs de la pièce d’eau qu’ils avaient quittée quelques minutes auparavant, et qui était si lugubre qu’un esprit superstitieux aurait pu l’attribuer à un fantôme sortant de son sépulcre.