Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/168

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— Oui, c’était un corps de chair ; mais qu’il appartienne encore à ce monde, c’est ce dont il est permis de douter, répondit Heyward en voyant que Chingachgook n’était point avec eux.

Comme il prononçait ces mots, on entendit un bruit semblable à celui que produirait un corps pesant en tombant dans l’eau. Un silence profond y succéda. Tandis qu’ils hésitaient s’ils devaient avancer ou attendre leur compagnon, dans une incertitude que chaque instant rendait encore plus pénible, ils virent paraître l’Indien, qui ne tarda pas à les rejoindre tout en attachant à sa ceinture une sixième chevelure, celle de la malheureuse sentinelle française, et en y replaçant son couteau et son tomahawk encore teints de sang. Il prit alors son poste accoutumé, sur les flancs de la petite troupe, et continua à marcher avec l’air satisfait d’un homme qui croit qu’il vient de faire une action digne d’éloges.

Le chasseur appuya par terre la crosse de son fusil, croisa ses deux mains sur le bout du canon, et resta quelques instants à réfléchir.

— Ce serait un acte de cruauté et de barbarie de la part d’un blanc, dit-il enfin en secouant la tête avec une expression mélancolique, mais c’est dans la nature d’un Indien, et je suppose que cela devait être ainsi. J’aurais pourtant préféré que ce malheur arrivât à un maudit Mingo plutôt qu’à ce joyeux jeune homme, qui est venu de si loin pour se faire tuer.

— N’en dites pas davantage, dit Heyward, craignant que ses compagnes ne vinssent à apprendre quelque chose de ce cruel incident, et maîtrisant son indignation par des réflexions à peu près semblables à celles du chasseur. C’est une affaire faite, dit-il, et nous ne pouvons y remédier. — Vous voyez évidemment que nous sommes sur la ligne des postes avancés de l’ennemi. Quelle marche vous proposez-vous de suivre ?

— Oui, répondit Œil-de-Faucon en appuyant son fusil sur son épaule, c’est une affaire faite, comme vous le dites, et il est inutile d’y songer davantage. Mais il paraît évident que les Français sont campés autour du fort ; et passer au milieu d’eux, c’est une aiguille difficile à enfiler.

— Il nous reste peu de temps pour y réussir, dit le major en levant les yeux vers un épais nuage de vapeurs qui commençait à se répandre dans l’atmosphère.

— Très peu de temps sans doute, et néanmoins, avec l’aide de