Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Munro ne lui répondit que deux mots : Mes filles ! Mais de quel ton expressif ces deux mots furent prononcés !

— Juste ciel ! s’écria Duncan, n’a-t-on pas encore fait les dispositions nécessaires pour leur départ ?

— Je ne suis aujourd’hui qu’un soldat, major Heyward, répondit le vétéran ; tous ceux que vous voyez autour de moi ne sont-ils pas mes enfants ?

Le major en avait assez entendu. Sans perdre un de ces instants qui devenaient alors si précieux, il courut au logement qu’avait occupé le commandant, pour y chercher les deux sœurs. Il les trouva à la porte, déjà prêtes à partir, et entourées d’une troupe de femmes qui pleuraient et se lamentaient, et qui s’étaient réunies en cet endroit par une sorte d’instinct qui les portait à croire que c’était le point où elles trouveraient le plus de protection. Quoique Cora fût pâle et inquiète, elle n’avait rien perdu de sa fermeté ; mais les yeux d’Alice, rouges et enflammés, annonçaient combien elle avait versé de larmes. Toutes deux virent le jeune militaire avec un plaisir qu’elles ne songèrent pas à déguiser, et Cora, contre son usage, fut la première à lui adresser la parole.

— Le fort est perdu, lui dit-elle avec un sourire mélancolique ; mais du moins j’espère que l’honneur nous reste.

— Il est plus brillant que jamais ! s’écria Heyward. Mais, ma chère miss Munro, il est temps de songer un peu moins aux autres et un peu plus à vous-même. L’usage militaire, l’honneur, cet honneur que vous savez si bien apprécier, exige que votre père et moi nous marchions à la tête des troupes, au moins jusqu’à une certaine distance ; et où chercher maintenant quelqu’un qui puisse veiller sur vous et vous protéger, au milieu de la confusion et du désordre d’un pareil départ ?

— Nous n’avons besoin de personne, répondit Cora : qui oserait songer à injurier ou à insulter les filles d’un tel père, dans un semblable moment ?

— Je ne voudrais cependant pas vous laisser seules pour le commandement du meilleur régiment des troupes de Sa Majesté, répliqua le major en jetant les yeux autour de lui, et en n’y apercevant que des femmes et quelques enfants. Songez que notre Alice n’est pas douée de la même fermeté d’âme que vous, et Dieu seul sait à quelles terreurs elle peut être en proie.

— Vous pouvez avoir raison, reprit Cora avec un sourire encore