Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/247

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Ses compagnons se conformèrent à ses injonctions, quoique la cause de toutes ces précautions extraordinaires fût encore un mystère pour l’un d’eux. Lorsqu’ils eurent marché quelques minutes dans le fossé qui entourait le fort de trois côtés, ils le trouvèrent presque entièrement comblé par les ruines des bâtiments et des fortifications écroulées. Cependant avec du soin et de la patience ils parvinrent à y suivre leurs conducteurs, et ils se trouvèrent enfin sur les rives sablonneuses de l’Horican.

— Voilà une trace que l’odorat seul peut suivre, dit le chasseur en jetant en arrière un regard satisfait sur le chemin difficile qu’ils venaient de parcourir ; l’herbe est un tapis dangereux pour l’homme qui y marche en fuyant ; mais le bois et la pierre ne prennent pas l’impression du mocassin. Si vous aviez porté vos bottes, il aurait pu y avoir quelque chose à craindre ; mais quand on a sous les pieds une peau de daim convenablement préparée, on peut en général se fier en toute sûreté sur les rochers. Faites remonter le canot un peu plus haut, Uncas ; à l’endroit où vous êtes, le sable prendrait la marque d’un pied aussi facilement que le beurre des Hollandais dans leur établissement sur la Mohawk. — Doucement ! doucement ! que le canot ne touche pas terre ; sans quoi les coquins sauraient à quel endroit nous nous sommes embarqués.

Le jeune Indien ne manqua pas de suivre cet avis, et le chasseur, prenant dans les ruines une planche dont il appuya un bout sur le bord du canot où Chingachgook était déjà avec son fils, fit signe aux deux officiers d’y entrer ; il les y suivit, et après s’être bien assuré qu’ils ne laissaient derrière eux aucune de ces traces qu’il semblait tellement appréhender, il tira la planche après lui et la lança avec force au milieu des ruines qui s’étendaient jusque sur le rivage.

Heyward continua à garder le silence jusqu’à ce que les deux Indiens, qui s’étaient chargés de manier les rames, eussent fait remonter le canot jusqu’à quelque distance du fort, et qu’il se trouvât au milieu des ombres épaisses que les montagnes situées à l’orient jetaient sur la surface limpide du lac.

— Quel besoin avions-nous de partir d’une manière si précipitée, et avec tant de précautions ? demanda-t-il à Œil-de-Faucon.

— Si le sang d’un Onéida pouvait teindre une nappe d’eau comme celle que nous traversons, vous ne me feriez pas une telle ques-