Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/248

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tion ; vos deux yeux y répondraient. Ne vous souvenez-vous pas du reptile qu’Uncas a tué hier soir ?

— Je ne l’ai pas oublié ; mais vous m’avez dit qu’il était seul, et un homme mort n’est plus à craindre.

— Sans doute, il était seul pour faire son coup ; mais un Indien dont la peuplade compte tant de guerriers a rarement à craindre que son sang coule sans qu’il en coûte promptement le cri de mort à quelqu’un de ses ennemis.

— Mais notre présence, l’autorité du colonel Munro seraient une protection suffisante contre le ressentiment de nos alliés, surtout quand il s’agit d’un misérable qui avait si bien mérité son sort. J’espère qu’une crainte si futile ne vous a pas fait dévier de la ligne directe que nous devons suivre ?

— Croyez-vous que la balle de ce coquin aurait dévié si Sa Majesté le roi d’Angleterre se fût trouvée sur son chemin ? Pourquoi ce Français, qui est capitaine général du Canada, n’a-t-il pas enterré le tomahawk de ses Hurons, si vous croyez qu’il soit si facile à un blanc de faire entendre raison à des Peaux-Rouges ?

La réponse qu’Heyward se disposait à faire fut interrompue par un gémissement profond, arraché à Munro par les images cruelles que lui retraçait cette question ; mais après un moment de silence, par déférence pour les chagrins de son vieil ami, il répondit à Œil-de-Faucon d’un ton grave et solennel :

— Ce n’est qu’avec Dieu que le marquis de Montcalm peut régler cette affaire.

— Oui, il y a de la raison dans ce que vous dites à présent, car cela est fondé sur la religion et sur l’honneur. Il y a une grande différence pourtant entre jeter un régiment d’habits blancs entre des sauvages et des prisonniers qu’ils massacrent, et faire oublier par de belles paroles à un Indien courroucé qu’il porte un fusil, un tomahawk et un couteau, quand la première que vous lui adressez doit être pour l’appeler mon fils. Mais, Dieu merci, continua le chasseur en jetant un regard de satisfaction sur le rivage du fort William-Henry qui commençait à disparaître dans l’obscurité, et en riant tout bas à sa manière, il faut qu’ils cherchent nos traces sur la surface de l’eau ; et à moins qu’ils ne se fassent amis des poissons, et qu’ils n’apprennent d’eux quelles sont les mains qui tenaient les rames, nous aurons mis entre eux et nous toute