Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/304

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— Non, répondit le chef en lui montrant Uncas toujours ferme et immobile ; il a de bonnes jambes, quoique son bras soit fait pour la bêche plutôt que pour le tomahawk.

Au lieu de montrer une vaine curiosité pour ce captif d’une nation odieuse, Magua continua à fumer avec son air habituel de réflexion, quand il n’avait pas besoin de recourir à l’astuce ou d’employer son éloquence sauvage. Quoique secrètement étonné de ce qu’il venait d’apprendre, il ne se permit de faire aucune question, se réservant d’éclaircir ses doutes dans un moment plus convenable. Ce ne fut qu’au bout de quelques minutes, que, secouant les cendres de sa pipe, et se levant pour resserrer la ceinture qui soutenait son tomahawk, il tourna la tête du côté du prisonnier qui était à quelque distance derrière lui.

Uncas paraissait méditer profondément, mais il voyait tout ce qui se passait ; s’apercevant du mouvement de Magua, il en fit un de son côté, afin de ne pas avoir l’air de le craindre, et leurs regards se rencontrèrent. Pendant deux minutes, ces deux hommes, fiers et indomptables, restèrent les yeux fixés l’un sur l’autre, sans qu’aucun d’eux pût faire baisser ceux de son ennemi. Le jeune Mohican semblait dévoré par un feu intérieur, ses narines étaient ouvertes comme celles d’un tigre forcé par les chasseurs, et son attitude était si fière, si imposante, que l’imagination n’aurait pas eu besoin d’un grand effort pour se le représenter comme l’image du dieu de la guerre de sa nation. Les traits de Magua n’étaient pas moins enflammés ; il semblait d’abord ne respirer que la rage et la vengeance ; mais sa physionomie n’exprima plus qu’une joie féroce lorsqu’il s’écria à haute voix :

— Le Cerf-Agile !

En entendant ce nom formidable et bien connu, tous les guerriers se levèrent en même temps, et la surprise l’emporta un instant sur le calme stoïque des Indiens. Toutes les bouches semblèrent ne former qu’une seule voix en répétant ce nom haï et respecté ; les femmes et les enfants, qui étaient près de la porte, le répétèrent comme en écho ; leurs cris furent portés jusqu’aux habitations les plus éloignées ; tous ceux qui s’y trouvaient en sortirent, et de longs hurlements terminèrent cette scène.

Cependant les chefs avaient repris leur place, comme s’ils eussent été honteux du mouvement auquel ils s’étaient laissés entraîner. Ils gardaient le silence ; mais tous, les yeux fixés sur le captif,