Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/307

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n’est que le sang d’un Indien qui peut laver une tache faite au nom des Hurons. Que ce Delaware meure donc !

Il est aisé de s’imaginer quel effet une telle harangue, prononcée avec force, dut produire sur un tel auditoire. Magua avait mélangé avec tant d’adresse ce qui devait émouvoir les sentiments naturels de ses concitoyens et ce qui pouvait éveiller leurs idées superstitieuses, que leurs esprits, déjà disposés par une longue habitude à sacrifier des victimes aux mânes de leurs compagnons, perdirent tout vestige d’humanité pour ne plus songer qu’à satisfaire à l’instant même leur soif de vengeance.

Un guerrier dont les traits respiraient une férocité plus que sauvage s’était fait remarquer par la vive attention avec laquelle il avait écouté l’orateur. Son visage avait exprimé successivement toutes les émotions qu’il éprouvait, jusqu’à ce qu’il n’y restât plus que l’expression de la haine et de la rage. Dès que Magua eut cessé de parler, il se leva en poussant un hurlement qu’on aurait pu prendre pour celui d’un démon, et brandit au-dessus de sa tête sa hache brillante et bien affilée. Ce cri, ce mouvement furent trop prompts pour que quelqu’un eût pu s’opposer à son projet sanguinaire, si quelqu’un en avait eu le dessein. À la lumière de la torche, on vit une ligne brillante traverser l’appartement, et une autre ligne noire la croiser au même instant : la première était la hache, qui volait vers son but ; la seconde était le bras de Magua, qui en détournait la direction. Le mouvement de celui-ci ne fut pas sans utilité ; car l’arme tranchante ne fit qu’abattre la longue plume qui ornait la touffe de cheveux d’Uncas ; et elle traversa le faible mur de terre de la hutte, comme si elle eût été lancée par une baliste ou une catapulte.

Duncan avait entendu l’horrible cri du guerrier barbare : il avait vu son geste, mais à peine un mouvement machinal l’avait-il porté à se lever, comme s’il eût pu être de quelque secours à Uncas, qu’il vît que le péril était passé, et sa terreur se changea en admiration. Le jeune Mohican était debout, les yeux fixés sur son ennemi, et sans montrer la moindre émotion. Il sourit comme de pitié, et prononça en sa langue quelques expressions de mépris.

— Non, dit Magua après s’être assuré que le captif n’était pas blessé ; il faut que le soleil brille sur sa honte ; il faut que les squaws voient sa chair trembler, et prennent part à son supplice, sans quoi notre vengeance ne serait qu’un jeu d’enfant. Qu’on