Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/314

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— Continuez votre récit, et ne faites pas de digressions. Nous ne savons pas quand les Hurons peuvent revenir.

— Il n’y a pas de danger, ils savent qu’il faut laisser à un sorcier le temps de faire ses sortilèges. Nous sommes aussi sûrs de ne pas être interrompus qu’un missionnaire le serait dans les colonies en commençant un sermon de deux heures. Eh bien ! en marchant vers l’autre camp, nous rencontrâmes une bande de ces coquins qui retournaient au leur. Uncas a trop d’impétuosité pour faire une reconnaissance ; mais à cet égard je ne puis le blâmer, c’est la chaleur du sang. Il poursuivit un Huron qui fuyait comme un lâche, et qui le fit tomber dans une embuscade.

— Et il a payé bien cher sa lâcheté.

— Oui ! je vous comprends, et cela ne me surprend pas ; c’est leur manière. Mais pour en revenir à moi, je n’ai pas besoin de vous dire que quand je vis mon jeune camarade prisonnier, je ne manquai pas de suivre les Hurons, quoique avec les précautions convenables. J’eus même deux escarmouches avec deux ou trois de ces coquins ; mais ce n’est pas ce dont il s’agit. Après leur avoir mis du plomb dans la tête, je m’avançai sans bruit du côté des habitations. Le hasard, — et pourquoi appeler le hasard une faveur spéciale de la Providence ? — un coup du ciel, pour mieux dire, me conduisit précisément à l’endroit où un de leurs jongleurs était occupé à s’habiller pour livrer, comme ils le disent, quelque grande bataille à Satan. Un coup de crosse de fusil bien appliqué sur la tête l’endormit pour quelque temps, et de peur qu’il ne lui prît envie de brailler quand il s’éveillerait, je lui mis entre les dents, pour son souper, une bonne branche du pin que je lui attachai derrière le cou. Alors l’ayant lié à un arbre, je m’emparai de son déguisement, et je résolus de jouer son rôle d’ours, pour voir ce qui en résulterait.

— Et vous l’avez joué à merveille. Votre imitation aurait fait honte à l’animal lui-même.

— Un homme qui a étudié si longtemps dans le désert serait un pauvre écolier s’il ne savait pas imiter la voix et les mouvements d’un ours. Si c’eût été un chat sauvage ou une panthère, vous auriez vu quelque chose qui aurait mérité plus d’attention : mais ce n’est pas une grande merveille que d’imiter les manières d’un animal si lourd. Et cependant, même le rôle d’ours peut être mal joué, car il est plus facile d’outrer la nature que de bien l’imiter,