Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/365

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quel besoin avaient-ils de routes pour voyager ? ils semaient au travers des rochers ; lorsque les castors travaillaient, ils restaient étendus à l’ombre et regardaient. Les vents les rafraîchissaient dans l’été ; dans l’hiver, des peaux leur prêtaient leur chaleur. S’ils se battaient entre eux, c’était pour prouver qu’ils étaient hommes. Ils étaient braves, ils étaient justes, ils étaient heureux.

Ici l’orateur s’arrêta et regarda de nouveau autour de lui, pour voir si sa légende avait excité dans l’esprit de ses auditeurs l’intérêt qu’il espérait : il vit les yeux fixés avidement sur lui, les têtes droites, les narines ouvertes, comme si chaque individu présent se fût senti animé du désir de rétablir sa race dans tous ses droits.

— Si le grand Esprit donna des langues différentes à ses enfants rouges, ajouta-t-il d’une voix basse, lente et lugubre, ce fut pour que tous les animaux pussent le comprendre. Il plaça les uns au milieu des neiges avec les ours ; il en mit d’autres près du soleil couchant, sur la route qui conduit aux bois heureux où nous chasserons après notre mort ; d’autres sur les terres qui entourent les grandes eaux douces ; mais à ses enfants les plus chers il donna les sables du lac salé ; mes frères savent-ils le nom de ce peuple favorisé ?

— C’étaient les Lenapes, s’écrièrent en même temps vingt voix empressées.

— C’étaient les Lenni-Lenapes, reprit Magua en affectant d’incliner la tête par respect pour leur ancienne grandeur. Le soleil se levait du sein de l’eau qui était salée, et il se couchait dans l’eau qui était douce ; jamais il ne se cachait à leurs yeux : mais est-ce à moi, à un Huron des bois, à faire connaître à un peuple sage ses propres traditions ? pourquoi retracer leur infortune, leur ancienne grandeur, leurs exploits, leur gloire, leur prospérité, leurs revers, leurs défaites, leur décadence ? n’y a-t-il pas quelqu’un parmi eux qui a vu tout cela, et qui sait que c’est la vérité ? — J’ai dit ; ma langue est muette, mais mes oreilles sont ouvertes.

Il cessa de parler, et tous les yeux se tournèrent en même temps par un mouvement unanime vers le vénérable Tamenund. Depuis qu’il s’était assis, jusqu’à ce moment, les lèvres du patriarche étaient restées fermées, et à peine avait-il donné le moindre signe de vie. Il s’était tenu courbé presque jusqu’à terre, sans paraître prendre aucun intérêt à ce qui se passait autour de lui pendant le