Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 5, 1839.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

allait sortir de la grotte, et ce mot suffit pour l’arrêter. Il tourna la tête : les couleurs du teint de Cora avaient fait place à une pâleur mortelle ; ses lèvres tremblaient, et elle le regardait d’un air d’intérêt qui le fit courir à elle sur-le-champ… Souvenez-vous, Duncan, continua-t-elle, combien votre sûreté est nécessaire à la nôtre ; n’oubliez pas le dépôt sacré qu’un père vous a confié ; songez que tout dépend de votre prudence et de votre discrétion, et ne perdez jamais de vue, ajouta-t-elle, combien vous êtes cher à tout ce qui porte le nom de Munro.

À ces dernières paroles Cora retrouva tout le vermillon de son teint, qui colora même son front.

— Si quelque chose pouvait ajouter à l’amour de la vie, ce serait une si douce assurance, répondit le major en laissant involontairement tomber un regard sur Alice, qui gardait le silence. Notre hôte vous dira que, comme major du soixantième régiment, je dois contribuer à la défense de la place ; mais notre tâche sera facile ; il ne s’agit que de tenir en respect une troupe de sauvages pendant quelques heures.

Sans attendre de réponse, il s’arracha au charme qui le retenait auprès des deux sœurs, et alla rejoindre le chasseur et ses compagnons, qu’il trouva dans le passage étroit qui communiquait d’une caverne à l’autre.

— Je vous répète, Uncas, disait le chasseur lorsque le major arriva, que vous gaspillez votre poudre ; vous en mettez une charge trop forte, et le recul du fusil empêche la balle de suivre la direction précise qu’on veut lui donner. Peu de poudre, ce qu’il faut de plomb, et un long bras, avec cela on manque rarement d’arracher à un Mingo son hurlement de mort. Du moins c’est ce que l’expérience m’a appris. Allons, allons, chacun à son poste, car personne ne peut dire ni quand ni par quel côté un Maqua[1] attaquera son ennemi…

Les deux Indiens se rendirent en silence au même lieu où ils avaient passé toute la nuit, à quelque distance l’un de l’autre, dans des crevasses de rochers qui commandaient les approches de la cataracte. Quelques petits pins rabougris avaient pris racine au centre de la petite île, et y formaient une espèce de buisson, et ce

  1. Il faut observer qu’Œil-de-Faucon donne différents noms à ses ennemis. Mingo et Maqua sont des termes de mépris, et Iroquois est un nom donné par les Français. Les Indiens font rarement usage du même nom lorsque différentes tribus parlent les unes des autres.