Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/194

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si doux de Louise s’était aussi coloré de cette faible teinte de rose qui, semblable au teint animé d’un malade, prêtait à sa beauté un charme mélancolique.

Pendant que les deux compagnes se promenaient ainsi dans le salon, le reste de la compagnie était encore à table, où l’on faisait honneur aux excellents vins du juge Temple. On entendait de temps en temps les éclats de la gaieté bruyante de Richard ; mais le major Hartmann, quoiqu’il eût bu davantage, n’avait pas encore la tête assez échauffée pour se mettre au niveau de M. Jones ; Marmaduke respectait trop M. Grant pour se permettre en sa présence rien qui pût ressembler à un excès ; de sorte que Richard, ne trouvant pas grand encouragement, fut le premier à proposer d’aller rejoindre les dames.

Lorsqu’ils entraient dans le salon, Benjamin Penguillan venait d’y arriver par une autre porte, courbé sous une charge de bois qu’il allait placer dans les flancs de l’énorme poêle, où le feu était sur le point de s’éteindre.

— Comment ! Ben-la-Pompe, s’écria le nouveau shérif, croyez-vous que le madère du juge ne suffise pas pour entretenir la chaleur animale pendant ce dégel ? Cousin ’Duke, ne lui avez-vous pas recommandé d’épargner vos érables, puisque vous craignez d’en manquer ? Ha ! ha ! ha ! vous êtes un excellent parent, j’en conviens ; mais il faut avouer aussi que vous avez quelquefois de singulières idées.

M. Temple ne répondit rien, peut-être parce que le majordome s’empressa de prendre la parole.

— Il se peut, voyez-vous, monsieur Jones, dit-il après avoir déposé son fardeau près du poêle, que vous vous soyez trouvé à la table de mon maître sous une latitude chaude ; mais ce n’est pas ce qu’il me faut pour m’entretenir dans ma chaleur naturelle : je ne connais pour cela que le vrai rhum de la Jamaïque, de bon bois ou de charbon de Newcastle. Cependant je crois qu’il est bon de se tenir clos et de fermer les écoutilles, car nous allons avoir un changement de temps, si je m’y connais, et je dois m’y connaître après avoir passé vingt-sept ans sur mer, et sept autres dans ces montagnes.

Et pourquoi croyez-vous que le temps va changer, Benjamin ? demanda le maître de la maison.

— Le vent a tourné, Votre Honneur, et toutes les fois que le