Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/214

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Telle était la route dans laquelle Richard conduisit ses amis après avoir quitté la fabrique de sucre. Bientôt ils eurent à passer un pont jeté sur un petit ruisseau, et qui n’était formé que de deux rangées de pins placés transversalement les uns sur les autres, et avec tant de négligence qu’on apercevait l’eau à travers. En arrivant à cette barrière, le cheval de Richard baissa le cou, et traversa le pont au petit pas avec une sagacité surprenante. La jument de miss Temple, qui le suivait, s’arrêta sur le bord ; mais Élisabeth l’animant de la voix, lui faisant sentir le fouet, et lui lâchant la bride, lui fit sauter d’un seul bond ce passage dangereux.

— Doucement, ma fille, doucement, dit Marmaduke, ce n’est pas dans ce pays qu’on peut se permettre des prouesses d’équitation. Il faut beaucoup de prudence pour voyager avec sûreté sur nos mauvais chemins. Vous pouvez vous amuser à de pareils tours d’adresse dans les plaines de New-Jersey, mais il faut y renoncer sur les montagnes de l’Otsego, du moins d’ici à quelque temps.

— Autant vaut donc que je renonce à monter à cheval, mon père ; car, si j’attends qu’il se forme de bonnes routes dans ce pays sauvage, la vieillesse viendra mettre un terme à ce que vous appeliez mes prouesses d’équitation.

— Ne parlez pas ainsi, ma fille, et songez que si vous vous hasardez souvent comme vous venez de le faire, vous n’arriverez jamais à la vieillesse, mais vous forcerez votre vieux père à pleurer sur son Élisabeth. Si vous aviez vu, comme moi, ce pays, tel qu’il était sorti des mains de la nature, et que vous eussiez été témoin des changements rapides qu’y a opérés la main de l’homme, à mesure que ses besoins l’ont exigé, vous ne penseriez pas qu’il fallût un si long espace de temps pour qu’on y voie de meilleures routes.

— Je crois me rappeler, mon père, que je vous ai entendu parler de votre première visite dans ces bois, mais c’est un souvenir confus qui se mêle aux idées de ma première enfance. Voudriez-vous me répéter ce que vous pensâtes alors de votre entreprise, et quels sentiments vous éprouvâtes ?

— Vous étiez encore bien jeune, mon enfant, quand je vous laissai avec votre mère pour faire ma première excursion dans ces montagnes inhabitées ; mais vous ne pouvez connaître les secrets