Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/361

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vous, une montagne sur laquelle nous avons couru un danger si horrible ; je me sens hors d’état d’aller plus loin.

Cette déclaration inattendue plongea Élisabeth dans un grand embarras. Elle n’avait aucune appréhension d’un danger qui n’existait plus ; mais une retenue naturelle à son âge et à son sexe la faisait hésiter à s’avancer plus loin absolument seule. Ses joues s’animèrent de vives couleurs pendant qu’elle s’arrêta pour faire quelques réflexions à la hâte. Le résultat de ces réflexions fut qu’elle se décida à continuer sa course.

— J’irai donc seule, répondit-elle. Je ne puis me fier qu’à vous, sans courir le risque de découvrir le pauvre Natty, et si je manque à la promesse que je lui ai faite, c’est le priver du seul moyen qu’il ait de pourvoir à sa subsistance. Mais du moins attendez-moi ici pour qu’on ne puisse pas dire que je me promène seule sur les montagnes ; vous ne voudriez pas donner lieu à des observations déplacées, si… si par hasard… Me promettez-vous de m’attendre, ma chère amie ?

— Un an, s’il le faut, miss Temple, pourvu que ce soit en vue du village ; mais n’exigez pas que je vous suive sur cette montagne, je sens que cette entreprise est au-dessus de mes forces.

Élisabeth vit effectivement au sein haletant, à l’œil égaré et à tous les membres tremblants de Louise, qu’elle était hors d’état d’aller plus loin. Elle la plaça dans un endroit où elle devait être à l’abri des observations de ceux qui pouvaient passer sur la route, et d’où l’on apercevait le village et toute la vallée de Templeton, et, lui ayant promis de la rejoindre le plus tôt possible, elle commença à gravir la montagne. Elle marchait d’un pas ferme et rapide, craignant de ne pas arriver à l’heure convenue, attendu le temps qu’elle avait passé à écouter l’histoire de M. Le Quoi. Elle était pourtant obligée de faire une pause par intervalles pour reprendre haleine, et elle examinait alors les changements survenus depuis peu dans la vallée. La longue sécheresse avait donné une teinte rembrunie à sa riche verdure, et elle n’offrait plus l’aspect riant et enchanteur des premiers jours d’été. Le ciel même semblait se ressentir de l’air desséché de la terre, car le soleil était obscurci par des vapeurs qu’on aurait prises pour un nuage de poussière, tant elles offraient peu d’apparence d’humidité. On n’apercevait l’azur du firmament que par moments, lorsque le vent séparait ces masses flottantes dans l’atmosphère, comme si