Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 6, 1839.djvu/99

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

famille ; mais il y a une différence palpable dans leur air, leur tournure, leurs manières. Ce jeune homme s’exprime toujours en termes choisis, et auxquels je ne m’attendais guère en le voyant en pareille compagnie et avec des vêtements si grossiers. John Mohican paraît le connaître. Il habite sans doute la hutte de Natty. Avez-vous remarqué comme il parle bien, monsieur Le Quoi ?

— Certainement, monsieur Temple, répondit le Français ; il converse en excellent anglais, et sans aucun accent.

— Ah ! s’écria Richard. Je vous dirai, moi qui m’y connais, que ce jeune homme n’est pas un miracle. Je ne prétends pas dire qu’il parle mal ; mais j’ai connu des enfants qui avaient été envoyés fort jeunes à l’école, et qui parlaient mieux à l’âge de douze ans ; Zared Coe, par exemple, le fils du vieux Nehemia, qui s’est établi le premier dans la prairie de l’écluse du Castor[1]. Il n’avait pas quatorze ans qu’il écrivait presque aussi bien que moi. Il est vrai que je lui avais donné quelques leçons pendant les longues soirées. Quant à ce jeune chasseur, il mérite d’être mis au pilori s’il lui arrive jamais de toucher encore aux rênes d’un cheval ; c’est le plus grand maladroit que j’aie vu de ma vie. Il ne sait ce que c’est qu’un cheval. Je réponds qu’il n’a jamais conduit que des bœufs.

— Je crois, Dickon[2], que vous ne lui rendez pas justice, dit le juge ; il a montré en cette occasion autant de sang-froid que de résolution. Ne pensez-vous pas comme moi, Élisabeth ?

Ni cette question ni le ton dont elle était faite n’offraient rien d’extraordinaire, et cependant elle ne put y répondre sans rougir jusqu’au front.

— Oui sans doute, mon père ; et la manière dont il a agi annonce un jeune homme bien né et bien élevé.

— Est-ce dans votre pension, ma jolie cousine, demanda Richard d’un air ironique, que vous avez appris à juger si un homme a été bien élevé ?

— On a droit de le croire, répondit-elle d’un ton un peu piqué, quand il sait traiter une femme avec respect en considération.

— Je vois ce que c’est, s’écria Richard ; il a gagné vos bonnes

  1. Les riches prairies alluviales où les castors avaient autrefois leurs écluses, et par conséquent leurs bassins, sont très estimées des fermiers américains, et sont très-communes en Amérique.
  2. Ce diminutif de Richard est plus gracieux en anglais que Dick son synonyme. Le juge n’appelle jamais son cousin que Dickon dans le roman.